Dans un contexte de changements globaux, notamment climatiques, environnementaux et démographiques, les modalités des transitions écologiques et alimentaires font l’objet de nombreux débats. La consommation de viande n’a cessé depuis quelques années d’être au cœur de nombreuses controverses.
Modes d’élevage, modes d’abattage, impacts sur l’environnement sont autant d’aspects qui interrogent désormais lorsqu’on évoque une consommation pourtant anciennement ancrée dans les mœurs, voire la cuisine Française. Entre nouveaux comportements alimentaires, idées reçues sur la consommation de viande et aspirations pour l’avenir, la seconde vague du « Baromètre sur la consommation de la viande » menée par le Réseau Action Climat veut faire le point sur les évolutions de l’alimentation au cours des deux dernières années.
Après une première vague menée dans le contexte particulier de la crise sanitaire et du développement massif du télétravail, cette seconde enquête est particulièrement marquée par un contexte inflationniste qui pousse les Français aux arbitrages.
Pourquoi parle-t-on de la consommation de viande ?
La consommation de viande ne diminue pas ? Que faire ?
En France, la consommation totale de viande ne fait qu’augmenter. Elle est passée de 3,8 à 5,8 millions de tonnes équivalent carcasse entre 1970 et 2021 (+ 50 %). L’augmentation de la consommation totale de viande est portée par la croissance démographique, malgré une baisse de la consommation individuelle qui a bien eu lieu entre 1990 et 2013 (-11 %).
Si ce rapport traite avant tout de la consommation de viande, il tente également d’approcher les dynamiques de consommation de produits laitiers, malgré de nombreuses difficultés méthodologiques. D’après nos calculs, si la consommation de produits laitiers diminue depuis 1990, celle-ci semble également se stabiliser depuis 2015 environ. Des données plus précises seraient néanmoins requises pour être sûr de cette tendance.
Au rythme actuel, aucune des cibles de consommation durable de viande n’a de chances d’être atteinte d’ici 2050. Tous les scénarios de neutralité carbone comptent sur une réduction de la consommation de viande, mais à des amplitudes variées allant de -20 % pour la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), à -70 % pour le scénario 1 de l’ADEME d’ici 2050.
Avant même de discuter des politiques publiques à mettre en œuvre, il s’agit d’abord de resserrer et de préciser la cible de réduction totale de viande visée - et pas uniquement de viande bovine. En effet, la cible de consommation totale de viande de la SNBC est d’une part la moins ambitieuse de tous les scénarios de durabilité, et d’autre part l’atteinte de cette cible n’est adossée qu’à un unique indicateur de consommation de viande bovine.
Tendances actuelles de consommation
Si les Français se déclarent toujours dans l’absolu autant consommateurs de viande (97% indiquent en consommer au moins de temps en temps), la consommation quotidienne (27%) apparait en baisse de 6 points par rapport à 2021, au profit d’une consommation plus hebdomadaire (62% , + 6 points) qui concerne ainsi la majorité de la population française.
Ce ralentissement léger de la consommation que nous observons dans les pratiques effectives des Français est à positionner dans un contexte où ils sont très nombreux à se positionner intellectuellement dans une démarche de réduction de leur consommation de viande. Déjà en 2021, nous faisions le constat : près de la moitié des Français avaient le sentiment de consommer moins de viande depuis quelques années. Cette tendance se renforce aujourd’hui, 57% (+9 points) déclarant qu’ils ont diminué leur consommation de viande dans les dernières années, notamment les femmes et les plus âgés.
Quelle que soit leur catégorie sociale, les Français se sentent aujourd’hui très largement préoccupés (88%) par les enjeux environnementaux, et notamment ceux qui peuvent être liés à leurs modes de consommation (réchauffement climatique, pollution, gaspillage alimentaire et production de déchets par l’homme, biodiversité, etc.). Déjà très installée, cette préoccupation apparaît encore un peu plus importante qu’il y a 2 ans, en hausse de 3 points.
Concernés par l’environnement et conscients de leur impact environnemental (73%), les Français estiment aujourd’hui consommer de manière responsable (86%). La plupart vont même jusqu’à se penser exemplaires, et ce, à nouveau à un niveau en hausse par rapport à février 2021 : 82% (+3 points) estimant que si tout le monde consommait comme eux, les choses iraient mieux pour l’environnement.
Spontanément, et à l’image de la 1ère mesure de février 2021, les représentations de la viande sont contrastées. Souvent associée à des éléments positifs, nombreux étant ceux qui considèrent la viande comme un aliment de qualité, bon, qu’il est plaisant et même important de consommer, la viande contient également sa part d’ombre dans les expressions spontanées. De nombreux verbatims sont ainsi orientés sur la nécessité d’une modération dans la consommation de la viande, sous-tendue à la fois par des enjeux environnementaux et de bien-être animal.
Causes de la baisse de consommation
Tout intime à penser qu’elle n’est qu’une clé d’explication parmi d’autres pour rendre compte de la volonté de ralentissement de consommation de viande chez les Français. Mais les représentations des Français s’ancrent dans un contexte plus large et où, on l’a vu, les enjeux environnementaux et de santé occupent une place majeure.
S’ils estiment en majorité que manger de la viande au moins une fois par semaine est nécessaire, ils sont aujourd’hui seulement une minorité à considérer qu’il faudrait en manger tous les jours (40%). Tous s’accordent à dire que limiter sa consommation de viande a un impact sur l’environnement (81%) comme sur leur santé (77%).
Dans une perspective de diminution de leur consommation de viande, les Français identifient plusieurs aliments permettant de compenser l’apport des nutriments de la viande, et privilégieraient les légumes secs et les légumineuses (80%), les céréales et les graines (78%) et les aliments peu transformés (59%) qui en sont issus.
La bonne image des légumes secs est partagée par les Français dans leur ensemble tout comme ceux qui sont aujourd’hui engagés dans une diminution de leur consommation de viande. Ils sont loués autant pour leur richesse en fibres et nutriments (92%) ou pour leur goût (85%) que pour leurs avantages en matière économique par rapport à la viande (89%).
Ils sont également perçus comme ayant des atouts pour faire face aux grands défis de l’époque : souvent effectuée en France (80%), leur production est perçue comme peu émettrice de gaz à effet de serre (79%).
Impacts de l'élevage et de la consommation de viande
L’élevage produit des gaz à effet de serre (GES, notamment CH4, N2O et CO2) qui contribuent au changement climatique. Au niveau mondial, les émissions directes de GES provenant de l’élevage ont été estimées à 7 % des émissions totales liées aux activités humaines, ce qui représente environ la moitié de la part due au secteur du transport, qui est égale à 14% (GIEC 2017).
En comptabilisant plus complètement l’ensemble des émissions directes et indirectes des GES sur l’ensemble du système d’élevage (aliments, engrais, transport, énergie...), la part de l’élevage est estimée à 16 % en France (le même calcul appliqué au système de transport aboutit à 27 %). Il est donc nécessaire de réduire les émissions de GES provenant de l’élevage, ce qui est possible en améliorant l’alimentation des animaux, en diminuant les engrais azotés par l’accroissement de la culture (locale) des légumineuses et en utilisant les effluents comme fertilisants.
Il a été estimé que 15 000 L d’eau étaient nécessaires pour produire 1 kg de viande (2). Ce chiffre représente à hauteur de 95 % l’eau de pluie captée par les sols et par les plantes, qui n’est pas directement utilisable pour d’autres usages. Néanmoins, l’élevage utilise de l’eau douce pour abreuver les animaux, pour nettoyer les bâtiments et selon les zones géographiques pour l’irrigation des cultures destinées à les nourrir. La consommation de cette eau, dite « bleue », varie fortement selon les types d’élevage.
La mauvaise gestion des effluents d’élevage contribue à la pollution des eaux et des sols, notamment par les nitrates mais également par des pathogènes et des résidus médicamenteux (par ex. Au niveau mondial, les terres agricoles représentent 38 % des surfaces émergées non gelées (3). Ces terres agricoles sont utilisées à 50 % pour l’alimentation du bétail, dont la plus grande partie (80 %) n'est pas cultivée (prairies, montagnes, steppes, savanes par exemple).
Ces grands territoires présentent de nombreux avantages environnementaux : ce sont des réservoirs de biodiversité, ils protègent les sols de l’érosion, filtrent l’eau et stockent du carbone. L’élevage utilise aussi un tiers des surfaces cultivées pour la production d’aliments pour les animaux et cette proportion pourrait s’accroître avec le développement de l’élevage dans plusieurs régions du monde pour faire face à l’augmentation de la demande.
L’élevage a également un rôle social et économique dans les territoires. Dans l’Union européenne, les productions animales contribuent pour environ 45 % à la production agricole finale en valeur. En matière d’emploi, on estime à 4 millions les actifs travaillant dans les élevages européens. En France, on dénombre environ 880 000 personnes ayant un emploi dépendant de l’élevage (soit 3,2 % de la population active).
L’amélioration du bien-être animal est un enjeu majeur qui doit être au cœur de la conception des systèmes d’élevage du XXIe siècle. Le bien-être animal est défini comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal.
Alternatives et recommandations
Les alternatives à la consommation de viande rouge et de viande transformée comprennent l’augmentation de la consommation d’autres aliments d’origine animale, d’aliments végétaux peu transformés ou de nouveaux substituts de viande (y compris les similis-carnés, la viande à base de cellules et les insectes).
Le Programme national nutrition santé 2019-2023 recommande au consommateur des régimes limitant la viande rouge (- de 500 g/semaine) , les produits laitiers (2/jour) et la charcuterie (- de 150g /semaine) et augmentant la part de légumineuses et légumes secs (au moins 2 fois par semaine) et de fruits et légumes (5 par jour), naturellement riches en fibres.
Ces recommandations intègrent pour la première fois le développement durable et les modes de production en conseillant de privilégier des aliments de saison, provenant de producteurs locaux et si possible « bio ».
Politiques publiques et implications des acteurs privés
Les politiques publiques mises en œuvre ou en cours de mise en œuvre en France ne seront très probablement pas suffisantes. Les menus végétariens dans la restauration collective publique ont un effet direct limité (moins de 5 % des repas consommés) et leurs effets pédagogiques ne pourront se faire sentir que sur un temps long.
De nouvelles pistes de politiques publiques et d’implications d’acteurs privés doivent donc être explorées pour mettre la consommation de viande sur un rythme compatible avec les enjeux de durabilité et l’évolution des volumes de production nationaux. Nous identifions trois grands axes : changer l’offre alimentaire (en restauration et en distribution), changer les représentations sociales (via la publicité, les programmes scolaires, télévisés, etc.) ou encore changer la fiscalité et la réglementation (via par exemple une réforme de la TVA sur les produits alimentaires).
Conformément à leur jugement qui pointe du doigt les failles du secteur, les Français se montrent favorables à de nombreuses mesures qui pourraient être mises en place dans la distribution. Parmi les premiers changements à apporter, 89% des Français attendent que les enseignes de grande et moyenne surface proposent davantage de viande issue d’élevages durables et 83% attendent davantage de viande issue d’élevages certifiés « bio ».
Outre l’offre proposée, les Français attendent également que la grande distribution se positionne sur les enjeux économiques et environnementaux, notamment à travers une baisse de leurs marges sur les produits « bio » (88%) et par le rejet de la commercialisation des viandes issues d’élevages intensifs (82%).
De la même façon les mesures incitatives comme le développement des élevages durables (90%) et le soutien aux agriculteurs bio (87%) sont défendues par les Français.
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