Alimentation et hydratation en soins palliatifs

Arrêter les soins ? Arrêter les traitements ? Respecter le patient ? Voici venir le temps où, après avoir offert à son proche tout ce qui pouvait alléger les divers aspects de sa vie compliquée d’une ou plusieurs pathologies, surviennent de grandes difficultés à s’alimenter et à s’hydrater. Quelle personne présente auprès de son proche malade n’a pas ressenti la hantise de le voir « mourir de faim », « mourir de soif » ? Boire et manger jusqu’au bout de la vie ? Ce n’est, dans de nombreux cas, ni possible ni souhaitable sans pour autant nuire à la personne malade.

Refus ou incapacité à s’alimenter

Pendant un certain temps, les difficultés à ingérer toute prise alimentaire solide ou liquide vont être gérées : prise en charge d’un trouble de la déglutition qu’elle qu’en soit l’origine avec des recommandations adaptées, approche rassurante d’un refus alimentaire, traitement d’un état dépressif, levée d’une compression due à une tumeur locale, soins dentaires etc. Et puis, avec l’avancée vers la fin de la vie, tout devient de plus en plus compliqué.

La maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, les séquelles de certains AVC vont empêcher une commande d’ingestion correcte dans l’œsophage avec pour conséquences gravissimes l’étouffement et les pneumopathies d’inhalation. Les troubles de la maladie d’Alzheimer ne vont plus permettre à la personne de savoir mâcher, et déglutir (la bouchée reste dans la bouche, les liquides coulent de la bouche).

Les cancers, les pathologies douloureuses inflammatoires, les chirurgies compliquées, le lourd poids des ans etc., vont faire glisser une personne à ne plus vouloir ni pouvoir s’alimenter. La prise de repas devient interminable, source d’anxiété et de complications qui ne font du bien ni au malade ni à ses proches.

Accepter l’arrêt de l’alimentation est souvent la première étape de la prise de conscience d’une mort proche.

La perception de la faim et de la soif en fin de vie

« Il va mourir de faim, il va mourir de soif ». Ce qu’il faut savoir, comprendre, croire avec confiance et qui concerne l’immense majorité des cas : « C’est la maladie arrivée en phase terminale de son évolution qui va causer des complications irrémédiables et conduire au décès. L’arrêt total de l’alimentation et de l’hydratation ne le provoque pas directement et il n’induit pas de souffrance physique. Cet arrêt n’a aucune influence sur la durée de vie ». (Association française de soins palliatifs). On sait que des personnes âgées en fin de vie peuvent rester en vie de façon étonnement longue sans rien absorber.

Dans la majorité des cas, en phase terminale, les patients ressentent une absence d’appétit voire même un dégoût de la nourriture. La phase terminale d’une maladie, quelle qu’elle soit, s’accompagne d’une anorexie (perte d’appétit), d’une disparition de la sensation de faim, d’une perception de satiété (remplissage) après quelques bouchées et souvent d’un dégoût de la nourriture. La sensation de soif est diminuée voire absente, ce qui arrive aussi avec l’avancée en âge.

Une très grande majorité des patients en fin de vie n’a pas de sensation de soif. Il faut savoir que la perception de la soif diminue avec l’âge. Les patients en fin de vie ne souffrent ni de la faim ni de la soif. Les malades en stade avancé d’une quelconque maladie sont épuisés : un repas même léger leur demande un immense effort.

La diminution de repas et de boissons voire le jeûne total de ces apports induit la sécrétion de substances opiacées qui a un effet détendant et antalgique. La suppression des sucres va entrainer la formation de dérivés de l’acétone ayant une action coupe-faim. La gestion raisonnée de la prise d’aliments et de liquides influe de façon importante sur la qualité de vie et de confort des derniers jours de la vie. Réduire ou arrêter l’alimentation solide ou liquide n’est pas un abandon : c’est un acte thérapeutique.

L'alimentation dans les soins palliatifs

L’alimentation concerne les apports oraux du malade : jamais l’alimentation n’est arrêtée délibérément en phase palliative. Les malades mangent bien sûr à leur convenance, sauf exception (par exemple quand un patient âgé fait des fausses routes massives, potentiellement mortelles). Il faut noter qu’en Ehpad ou en USLD, nombreux sont les patients qui refusent la nourriture proposée par les soignants tandis qu’ils acceptent quelques cuillérées présentées par leurs proches. Cette discordance exige une explication de la part de l’équipe soignante, car la famille se montre souvent furieuse : « Vous ne savez pas la faire manger, avec moi elle mange !!!

Cet arrêt de nutrition est souvent dénoncé par les tenants de l’euthanasie, sous l’argument que ce serait une « souffrance supplémentaire inacceptable », voire que les soignants laisseraient les patients « mourir de faim et de soif » en “organisant” sciemment une insuffisance rénale mortelle ! Or, dans le contexte d’une affection grave en fin de vie, la clinique montre que le métabolisme est ralenti et que les sensations de faim et de soif sont quasiment toujours absentes ; ce qui ne peut se comparer aux sensations d’une personne en bonne santé. De plus, cet arrêt éventuel ne se justifie que pour des raisons précises dans un contexte de phase terminale ; il n’altère aucunement la qualité de vie du malade.

Dans un tout autre plan d’analyse, l’arrêt de l’absorption alimentaire peut relever de l’initiative du patient. Signalons une confusion fréquente dans le langage courant : les attitudes opposantes, le refus de nourriture, sont facilement étiquetées « refus de soin ». Or il faut savoir explorer minutieusement les différentes manifestations d’un refus. Il peut s’agir d’un refus des soins, du refus d’un soin, de l’attitude opposante générale à toute relation ou encore de l’attitude opposante ciblée sur une personne, sans omettre une intrication possible avec des troubles psycho-comportementaux.

Quoi qu’il en soit, la première question qui doit se poser est celle de savoir s’il ne veut pas manger ou s’il ne peut pas manger ? Ou parfois il ne doit pas manger (car il risque une fausse route massive) ? Il revient à chaque équipe d’analyser chaque situation, son contexte, la portée d’un éventuel refus, ce qui est souvent complexe en grande gériatrie !

L’obligation de nutrition et d’hydratation est une donnée de toute civilisation. Un arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles doit être le fruit d’une procédure collégiale, désormais précisée par le code de santé publique. La procédure collégiale exige une discussion multidisciplinaire, qui prend en compte la situation médicale singulière du patient, les éléments d’une éventuelle obstination déraisonnable et les aspects contextuels.

Fondées sur la pratique, les recommandations des sociétés savantes concernées s’efforcent d’apporter des réponses aux questions de l’entourage des patients, qui vit souvent très mal l’annonce de l’inutilité de la nutrition en fin de vie.

Est-ce raisonnable de s’acharner ?

Les complications dues à un acharnement déraisonnable (« Loi Leonetti-Clayes sur la fin de vie ») autour de l’alimentation sont :

  • Trop de liquide absorbĂ© par voie orale et par perfusions conduit Ă  une surcharge : Ĺ“dèmes, augmentation du volume urinaire, entraĂ®nant encombrement bronchique, vomissements, inconfort d’être mouillĂ© et aggravation des lĂ©sions type escarres.
  • La nutrition par sonde est Ă©galement cause de fausse-route par rĂ©gurgitation et ses bĂ©nĂ©fices sont quasi nuls comparĂ©s aux risque encourus chez une personne dĂ©jĂ  Ă©puisĂ©e.
  • L’augmentation de l’angoisse et du dĂ©sarroi tant du cĂ´tĂ© des proches que des malades : conflits autour du repas compliquĂ©, culpabilitĂ©, mise en cause des soignants, repli sur soi…

Comment prendre soin de son proche ?

Comment faire avec quelqu’un qui souvent nous a nourri et que l’on nourrit en retour selon toute loi d’humanité ? Voici quelques conseils pratiques :

  • Il s’agit de faire diffĂ©remment que vis-Ă -vis d’une personne en bonne santĂ©. Il ne sert plus Ă  rien de donner des complĂ©ments alimentaires pas plus que de peser le malade.
  • L’inconfort que le malade ressent au niveau buccal (brĂ»lure, sĂ©cheresse) est directement liĂ© Ă  la bouche sèche; les soins de bouche rĂ©guliers soulagent. Ils peuvent ĂŞtre rĂ©alisĂ©s avec un liquide qui plait : jus de fruits, soda, voire une boisson alcoolisĂ©e apprĂ©ciĂ©e (il faut procurer du plaisir !).
  • Les glaces et sorbets sont plĂ©biscitĂ©s. Tout ce qui est frais et gazeux est recommandĂ©.
  • On peut proposer un apport en toutes petites quantitĂ©s sur la langue d’une crème au goĂ»t aimĂ©, d’un fruit Ă©crasĂ© (framboise ou autre), d’une compote ou d’une mousse, afin de ne pas priver la personne en fin de vie de sensations potentiellement agrĂ©ables.
  • La perfusion sous-cutanĂ©e n’a pas d’effet curatif mais elle sert parfois Ă  apaiser l’angoisse de « mourir » de soif qui ne peut ĂŞtre jugulĂ©e. Elle nĂ©cessite une surveillance de sa bonne tolĂ©rance.

Ces conduites à tenir sont appliquées avec science et conscience. En réponse aux souffrances qui se produisent inévitablement dans de tels moments, elles s’inscrivent dans un accompagnement digne.

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