La dénutrition se définit par des apports ou des stocks énergétiques ou protéiniques insuffisants pour répondre aux besoins métaboliques de l’organisme. Un apport alimentaire inapproprié ou insuffisant fait partie des nombreux mécanismes qui conduisent à la dénutrition, de même que l’augmentation des besoins métaboliques liée à une maladie ou l’augmentation des pertes énergétiques par un tube digestif malade.
Les conséquences de la dénutrition sont nombreuses : diminution des capacités fonctionnelles, de la qualité de vie des malades, mais aussi augmentation de la morbidité, retard de cicatrisation, augmentation des infections secondaires et surtout de la mortalité.
La voie orale doit toujours être privilégiée ; lorsque celle-ci est insuffisante ou impossible, une nutrition artificielle (nutrition entérale ou nutrition parentérale) doit être envisagée. Quand elle est possible, la nutrition entérale (NE) doit être préférée à la nutrition parentérale (NP) dont le coût est 10 fois plus élevé que celui de la nutrition entérale à débit continu (NEDC) et les complications peuvent compromettre le pronostic vital.
Le rapport risque/efficacité de la thérapeutique doit être systématiquement évalué avant la mise en oeuvre de la nutrition artificielle, tout particulièrement par voie parentérale. L’indication d’une nutrition entérale ou parentérale, est guidée par le recueil des quatre paramètres principaux que sont l’évaluation de l’état nutritionnel, le niveau des ingesta des deux dernières semaines, l’existence éventuelle d’un hypermétabolisme et celle de pertes digestives.
Le choix d’une voie de nutrition parentérale est la résultante de deux questions successives : y a-t-il une indication à la nutrition artificielle ?
Nutrition Entérale : Une Alternative Privilégiée
La nutrition entérale, initialement développée en France par Étienne Levy au début des années 1970, s’est rapidement imposée comme une technique de renutrition majeure. Plus physiologique que la nutrition parentérale, il s’agit de la technique de choix lorsque le tube digestif est fonctionnel. Plusieurs études ont montré sa supériorité par rapport à la nutrition parentérale dans diverses situations, en réduisant le taux de complications infectieuses. Contrairement à la nutrition parentérale, elle prévient l’atrophie villositaire intestinale et potentiellement, la translocation bactérienne [2].
Les contre-indications formelles à la NE sont les suivantes : occlusion intestinale organique, vomissements répétés ou incoercibles, surface intestinale fonctionnelle insuffisante. En dehors de ces contre-indications, l’existence d’une pathologie digestive ne doit pas faire renoncer à l’utilisation de la voie entérale. Ainsi, la présence de lésions du rectum ou du côlon, ou même de l’intestin grêle ne représente pas en elle-même une contre-indication. L’occlusion fonctionnelle et la pseudo-obstruction peuvent s’amender sous traitement et devenir compatibles avec la nutrition entérale.
La diarrhée ne doit pas non plus être considérée comme un échec, mais doit conduire à rechercher sa cause ou un mauvais respect des règles d’administration. Lorsqu’il existe une maldigestion, notamment en cas de gastrectomie ou d’insuffisance pancréatique, la NE reste efficace car le faible débit continu améliore les conditions de digestion et d’absorption.
Les complications sont peu fréquentes, mais sont souvent à l’origine d’une réduction ou de l’arrêt des apports entéraux. Parmi ces complications, un certain nombre est lié à une mauvaise indication de la NE ou à sa conduite sans correction des cofacteurs associés. L’administration de médicaments par voie entérale, la présence de substances osmolaires non absorbables, l’infusion à un débit élevé, l’atteinte de la muqueuse intestinale ou une accélération de la vidange gastrique peuvent entraîner une diarrhée [4]. Le traitement préventif repose sur le respect de bonnes pratiques concernant l’administration de la NE.
Les ralentisseurs du transit intestinal ainsi que la prescription d’un régime riche en fibres alimentaires font partie intégrante de la prise en charge de ces situations.
Plusieurs facteurs de risque de pneumopathie ont été identifiés : la position allongée, l’âge avancé, les troubles de la conscience, la gastroparésie associée à certaines pathologies et certains traitements (morphiniques, sédatifs, curares) [5]. Des modalités techniques permettent de prévenir cette complication : position demi-assise, infusion à faibles volumes et débits initialement, mesure du résidu gastrique chez les patients à risque.
La NE par sonde naso-gastrique peut se compliquer de processus inflammatoires ou infectieux naso-pharyngés et sinusiens. Des abcès cloisonnés sur le trajet de la sonde ou des péritonites localisées ont été décrits. Le retrait de la sonde est souvent nécessaire.
Complications de la Nutrition Parentérale
Les complications de la NP sont classées en deux grandes catégories : techniques et métaboliques. Les premières sont mécaniques (secondaires aux cathéters, pompes, lignes, connecteurs) et infectieuses (secondaires au risque septique lié à la présence du cathéter veineux). Les secondes sont métaboliques ou nutritionnelles, liées aux apports intraveineux [6, 7].
Elles sont essentiellement liées aux accès veineux centraux. Les obstructions de cathéter se traduisent par l’impossibilité de perfuser un liquide à travers le cathéter et/ou de retirer du sang. Elles peuvent être secondaires à un caillot, une malposition, une torsion ou à l’obstruction de la lumière par un dépôt de lipides ou de substance minérale. Elles sont prévenues par un rinçage du cathéter en pression positive en fin de perfusion nutritive. Elles constituent la première complication liée à la nutrition parentérale à domicile (NPAD).
L’incidence des infections en NPAD est de l’ordre de 0,8 pour 1 000 journées-cathéter, selon les centres et les pays. Les sources de contamination d’un cathéter sont au nombre de 4 : la flore cutanée, l’introduction de germes lors des diverses manipulations, le sang au cours d’une bactériémie par un foyer septique à distance et, de manière exceptionnelle, les solutés de nutrition.
La thrombose veineuse liée au cathéter central est une complication potentiellement grave et probablement sous-estimée. Une prévalence de 20 % de thrombose a été retrouvée en cas de septicémie liée au cathéter. L’incidence de la thrombose veineuse est d’environ 0,027 cas/cathéter/an (CI 0,02-0,034) mais l’incidence réelle est plus élevée car dans de nombreux cas, elle est asymptomatique.
Les anticoagulants oraux (warfarine) à faible dose pourraient réduire le risque de thrombose veineuse centrale chez les patients en NPAD de longue durée. Néanmoins, les études sont rares, portent essentiellement sur des populations avec cancers et retrouvent des résultats discordants. En NPAD de longue durée pour insuffisance intestinale bénigne, les protocoles sont multiples et très variables d’une équipe à l’autre. Des études randomisées seront utiles pour déterminer les protocoles de prévention les plus efficaces.
Les complications métaboliques sont liées à l’apport nutritionnel parentéral. Elles peuvent être liées à l’apport glucidique (hyperglycémie, hypoglycémie), à l’apport lipidique inadapté (apport insuffisant, excès d’apport avec possible syndrome d’activation macrophagique décrit en pédiatrie), et à l’apport azoté qui, s’il est excessif notamment chez l’insuffisant hépatique, peut être responsable d’une hyperammoniémie.
Les complications les plus fréquentes sont liées à l’apport hydroélectrolytique. De plus, les perfusions nutritives industrielles sont des prémélanges qui ne contiennent ni vitamines ni oligoéléments et une quantité variable, souvent insuffisante de minéraux, qui doivent être obligatoirement apportés car l’organisme est incapable d’en effectuer la synthèse.
Les complications hépatobiliaires restent une complication fréquente et parfois redoutable notamment en nutrition parentérale de longue durée La stéatose est d’autant plus importante qu’un apport glucidique excessif entraîne une lipogenèse de novo. La cholestase apparaît plus tardivement. Sa pathogénie fait intervenir des modifications de la composition biliaire, avec augmentation des acides biliaires secondaires. L’évolution de la cholestase se fait vers la régression spontanée des troubles à l’arrêt de la nutrition parentérale si cela est possible. Elle peut évoluer vers des lésions de fibrose hépatique. Les facteurs de risque sont liés à l’affection digestive sous jacente (syndrome de grêle court, segment digestif exclu) et à la NP [9].
Indications de la Nutrition Parentérale
La NP par voie centrale n’est indispensable que chez peu de patients. Elle est indiquée lorsqu’une nutrition entérale est contre-indiquée ou lorsque la tolérance de celle-ci ne permet pas de couvrir complètement les besoins énergétiques et/ou hydroélectrolytiques. Schématiquement, on retient les indications suivantes : obstruction intestinale aigue ou chronique, vomissements répétés ou incoercibles, insuffisance intestinale, échec d’une NE bien conduite ou NE non optimale.
L’insuffisance intestinale est définie comme l’impossibilité à maintenir une autonomie du point de vue du statut nutritionnel ou hydro-électrolytique. Les étiologies sont représentées par le syndrome de grêle court, les troubles moteurs, les maladies intestinales telles que l’entérite postradique. Le plus souvent, la NP est complémentaire de la voie orale ou entérale dont la tolérance ou le rendement d’absorption sont insuffisants pour assurer le maintien ou la correction d’une dénutrition [7, 10].
La NP exclusive est menée, la « main forcée », dans quelques situations : a) occlusion intestinale organique, b) vomissements répétés ou incoercibles, c) pseudo-obstruction avec intolérance alimentaire complète. Ces contraintes limitent l’utilisation de la voie veineuse périphérique à des NP de courte durée, généralement hypocaloriques. Il n’existe pas d’étude ayant démontré l’efficacité d’une nutrition parentérale périphérique. Néanmoins, les indications doivent être discutées au cas par cas, notamment dans l’attente de la reprise rapide d’une alimentation normale (chirurgie digestive simple) ou dans l’attente de la pleine efficacité d’une nutrition entérale débutée progressivement de manière simultanée.
Ainsi, la décision de mener une NP par voie veineuse périphérique ou centrale dépend en grande partie de sa durée prévisible. Schématiquement une NP de durée égale ou inférieure à deux semaines peut être conduite par voie veineuse périphérique tandis qu’une NP d’une durée supérieure doit être réalisée par voie veineuse centrale [5]. Un apport lipidique égal ou supérieur à 50 %de l’apport calorique est alors nécessaire pour réduire l’osmolarité de la solution nutritive puisque seules les émulsions lipidiques possèdent une osmolarité proche de celle du plasma.
Nutrition Parentérale et Maladies Inflammatoires Chroniques de l'Intestin (MICI)
La dénutrition est fréquente au cours de la maladie de Crohn, mais également au cours de la recto-colite hémorragique active et elle s’accompagne de carences en vitamines et oligo-éléments. Les mécanismes sont multifactoriels et associent anorexie, inflammation systémique, augmentation des pertes digestives et selon les cas, augmentation du catabolisme protéique, induite par la corticothérapie.
Le traitement de la dénutrition fait appel en première intention à une supplémentation orale qui peut permettre un apport calorique supplémentaire atteignant jusqu’à 600 Kcal par jour (grade A). Au cours de la maladie de Crohn, la NE a une efficacité spécifique dans la prise en charge de la poussée [12]. Le taux de réponse varie 53 à 80 %après 3 à 6 semaines de traitement, sans différence selon la localisation de la maladie. Chez l’adulte cependant, la corticothérapie est plus efficace [13].
La NP n’étant pas supérieure à la NE au cours de la poussée de maladie de Crohn, elle ne doit pas être utilisée en première intention. Par ailleurs, la nutrition parentérale exclusive, ayant pour objectif une mise au repos du tube digestif, n’a pas montré de supériorité par rapport à la NE [10, 11]. La nutrition parentérale doit donc être réservée aux contre-indications de la nutrition entérale, définies précédemment (occlusion, complications chirurgicales) ou aux cas d’intolérance.
Nutrition Parentérale et Résection Intestinale Étendue
Après une résection intestinale étendue, une nutrition parentérale est le plus souvent nécessaire au cours de la phase aiguë car les pertes hydroélectrolytiques et énergétiques sont souvent majeures. À moyen et long terme, une nutrition parentérale à domicile, est indiquée lorsque les capacités d’absorption de l’intestin restant sont insuffisantes pour couvrir la totalité des besoins [10].
Le degré d’autonomie orale peut être déterminé de façon précise par l’étude métabolique de l’absorption en alimentation orale libre chez des patients présentant le plus souvent une hyperphagie compensatrice. Après une période d’adaptation, environ la moitié des patients dépendant d’une nutrition parentérale initialement peuvent être sevrés de la NP, le degré de dépendance étant lié principalement à la longueur d’intestin grêle restant, à la présence ou non du colon en continuité et à l’existence d’une hyperphagie [14].
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