L'histoire de l'alimentation à La Valette et son impact sur l'agro-environnement

En France, en région Occitanie, à Montpellier, l’émergence d’un pôle d’excellence scientifique en agro-environnement, largement ouvert sur la Méditerranée et les pays du Sud, est le fruit d’une politique volontariste de l’État et des collectivités territoriales. Aujourd’hui, autour des pôles toulousain et montpelliérain, l’écosystème scientifique de la région Occitanie constitue ainsi un acteur incontournable de l’innovation au service des transitions agricoles, alimentaires et écologiques ; aux niveaux local, national et international.

Les débuts à Montpellier

Tout commence en 1870 avec l’installation à Montpellier d’une école d’agriculture, qui acquiert rapidement sa notoriété grâce à la mise au point de moyens de lutte contre le phylloxera, un insecte nouvellement importé des États-Unis qui décime alors les vignobles français. Par ailleurs, en 1919, M. Henri de Lunaret cède à la municipalité de Montpellier le domaine de La Valette, une étendue naturelle de 350 hectares au nord de la ville, dont une partie des terrains sera confiée à l’actuel Institut Agro à des fins d’expérimentation. Dans les années 60 s’y implantent le lycée agricole Frédéric Bazille et l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier.

Dans le même temps, ce qui deviendra l’un des plus importants laboratoires de recherche en écologie en France et dans le monde - le Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive - voit le jour sur le campus du CNRS. Ce complexe scientifique s’étoffe progressivement dans les années 70 et 80 et renforce sa dimension internationale avec l’installation du Cirad et de l’IRD, organismes français dédiés à la coopération avec les pays du Sud, et d’une antenne du centre AgroParisTech.

Coordination et expansion

Une dynamique de coordination interinstitutionnelle se met en place dès les années 80, à travers la création de l’association Agropolis International en 1986 sous l’impulsion de Louis Malassis, qui fut successivement professeur d’économie rurale à l’actuel Institut Agro, directeur de l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier et directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche au ministère de l’agriculture. Puis en 2007 voit le jour une fondation de coopération scientifique : Agropolis Fondation, créée à l’origine par le Cirad, l’Inrae et l’Institut Agro, rejoints ensuite par l’IRD et l’Université de Montpellier.

Le site acquiert une notoriété internationale qui attire des laboratoires australien (CSIRO) et américain (USDA), puis des représentations permanentes d’instituts de recherche ou universités brésilien, argentin, malaisien, qui s’y implantent pour stimuler les collaborations. En 2022, ce pôle scientifique montpelliérain s’intéressant aux questions d’agriculture, d’alimentation, d’environnement et de biodiversité comprend 45 unités mixtes de recherche ou d’appui à la recherche, emploie environ 5000 personnes et accueille plus de 1000 doctorants.

Intégration et projets futurs

Récemment, ce pôle scientifique a participé à une dynamique de structuration plus large fédérée et portée par l’Université de Montpellier, avec l’appui de l’État et de la Région, cherchant à intégrer de manière originale les questions de santé, d’environnement, d’agriculture et d’alimentation. Labellisée I-Site I-SITE (Initiatives Science - Innovation -Territoires - Économie) dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir du Secrétariat général pour l’investissement, cette communauté scientifique autour des enjeux de « nourrir, soigner et protéger » regroupe 6000 chercheurs et enseignants chercheurs. Ces enjeux sont aussi au cœur du projet MedVallée porté par Montpellier Méditerranée Métropole, visant à faire du territoire un pôle de classe mondiale en matière de « santé globale », source d’innovation et de développement économique durable.

Au niveau régional, ce pôle scientifique montpelliérain est également connecté aux pôles universitaires de Nîmes, en pointe sur la question des risques ; Perpignan, très actif sur les énergies renouvelables ; et Toulouse. Le site de Toulouse concentre lui aussi une forte expertise des sciences alimentaires, agronomiques, vétérinaires et environnementales. Il comprend 25 unités mixtes de recherche sur les thématiques agriculture-alimentation-biodiversité-environnement, représentant environ 2000 personnes employées et 500 doctorants accueillis. Il dispose d’équipements spécifiques tels que l’ensemble de plateformes technologiques au services des sciences du vivant GENOTOUL ; le démonstrateur préindustriel Toulouse White Biotechnology ; la Station d’écologie théorique et expérimentale de Moulis ou encore le Campus Agroécologie Toulouse en cours d’émergence.

Cas pratique : Le Gaec de la Valette en Normandie

Pour illustrer l'importance de l'alimentation dans l'agriculture durable, prenons l'exemple du Gaec de la Valette, une exploitation laitière en Normandie. Cyril Lecordier et Philippe Mary, les deux associés, n’achètent aucun concentré pour livrer 1 million de litres de lait bio. « Toute l’année, nous n’achetons aucun concentré pour livrer 1 million de litres de lait bio » annonce Cyril Lecordier lorsqu’il nous reçoit pour échanger sur le système herbager de son exploitation, le Gaec de la Valette. Si bien, qu’en 2023, le coût alimentaire annuel était limité à 38 € pour 1000 litres de lait produit.

Le quadragénaire élève, avec son associé Philippe Mary, 150 vaches en croisement rotatif Prim’Holstein X Brune dans le bocage normand. Il motive ce croisement original « par la volonté d’apporter, grâce à la génétique Brune, de la solidité des membres, indispensable pour le pâturage, de la fertilité ainsi que des taux à la Prim’Holstein reconnue pour sa productivité ». Les animaux produisent moins de 6000 litres de lait par an, leur productivité étant volontairement limitée par la stratégie alimentaire.

La recette de ce coût de ration serré : une alimentation à base d’herbe riche en protéines toute l’année. L’herbe est exploitée sous trois formes : pâturage, affouragement en vert et ensilage. La part de l’herbe pâturée est significative pendant 2 saisons : de fin février à fin juin, avec une production de l’ordre de 40 à 80 kg de MS / ha / j(2), puis en automne, avec une production entre 30 et 50 kg MS / ha / j du début septembre à la fin octobre(2). Le pâturage d’été est beaucoup plus aléatoire avec une production d’herbe qui baisse de moitié, voire s'arrête totalement comme en 2022 où les prairies étaient sèches.

« Les 40 ha de prairies naturelles accessibles, à potentiel de rendement modéré, ne suffisent pas pour couvrir les besoins de l’ensemble du troupeau pendant toute la saison du pâturage » constate Cyril Lecordier. Lorsque les vaches en lactation pâturent, l’éleveur leur distribue un complément de ration d’hiver. Cette dernière est un mélange de deux-tiers d’ensilage d’herbe et d’un-tiers d’ensilage d’épi de maïs. « L’herbe fraîche permet un plus haut niveau de production (25 à 26 kg de lait) que notre ration ensilée (20 kg de lait) » observe Cyril Lecordier.

« C’est pourquoi, lorsque la pousse de l’herbe ralentie à partir de la fin mai, nous augmentons la surface d’herbe fraîche exploitée grâce à l’affouragement en vert en complément du pâturage ». Le prix du lait au plus haut de la mi-juillet à la fin septembre permet d’amortir cette opération. Une partie des prairies de mélange Ray-Grass Anglais, trèfle violet et trèfle blanc (toutes ensilées en première exploitation, à la mi-mai) est alors consacrée à l’affouragement jusqu’à la fin-octobre, soit pendant 150 jours environ.

« Seules les parcelles situées à moins de 4 kilomètres des bâtiments d’élevage servent à affourager le troupeau » précise Cyril Lecordier. Il estime qu’il ne faut pas passer plus d’une heure pour remplir son autochargeuse de 25 m3 DIN et la décharger pour que l’opération soit rentable (voir l’encart Combien ça coûte ? en fin d'article). Les associés se sont équipés, en 2022, d’une autochargeuse distributrice KRONE AX 280 HD avec un volume de caisse de 25 m3 DIN et d’une faucheuse frontale de 3,6 mètres de la même marque(4).

Pour la distribution à l’auge, la remorque est équipée d’un tapis en position arrière et de rouleaux démêleurs. Séparer la fauche de la remorque présente deux avantages selon Cyril Lecordier : 1/ l’ensemble vieillit mieux et 2/ la remorque peut être utilisée également pour du transport. Dans l’exploitation, elle sert également pour ensiler l’herbe en combinaison avec une autre remorque autochargeuse de 47 m3. Elle est équipée de pneus larges basse pression et d’une suspension hydropneumatique, « des options conseillées pour l’affouragement en vert » selon l’éleveur. Une puissance de traction de 150 cv est suffisante pour tracter la machine.

L’éleveur utilise un tracteur plus puissant, de 190 cv, « pour moins marquer les sols en conditions humides ». Il pointe que « le volume de la caisse est insuffisant pour un troupeau de 150 vaches ; il convient plutôt à un élevage de 80 - 90 vaches ». C’est un choix assumé « car nous voulions limiter l’encombrement de la machine pour circuler dans le couloir d’alimentation et passer sous les portails ». En plus, la capacité de chargement correspond à la part d’affouragement (en complément du pâturage) en usage dans l’exploitation.

« Entre le pâturage et l’affouragement en vert, l’herbe fraîche couvre au minimum 60 % des besoins journaliers des vaches entre février et octobre » estime Cyril Lecordier. Il nuance que « cette part dépend bien entendu des conditions météo, la pluie qui réduit la portance des sols ou les fortes chaleurs qui pénalisent la pousse de l’herbe ». En 2022, la production d’herbe était inexistante entre la fin juin et la fin août. « Cette année-là, nous avons manqué de stock et n’avons pu livrer que 850 000 litres de lait » se remémore Cyril Lecordier.

Grâce aux données chiffrées communiquées par Cyril Lecordier, nous avons pris notre calculatrice pour estimer le coût d’une tonne MS d’herbe affouragée en vert au Gaec de la Valette.

  • L’investissement dans l’ensemble autochargeuse distributrice et faucheuse frontale était voisin de 100 000 € en 2022. Avec un amortissement sur 7 ans, le coût annuel de la machine est de 15300 € / an (frais financiers inclus). Etant donné que 90 % (environ) du temps de fonctionnement de la machine sont consacrés à l’affourragement en vert, le coût de la machine affecté à cette opération est estimé à 13 700 € / an, soit 125 € / h (avec 110 heures d’utilisation par an).
  • Il faut y ajouter l’heure de traction (entretien inclus) avec un tracteur de 190 cv, soit 50 € / h (selon le barème entraide 2023). Le coût d’une heure d’affouragement en vert revient donc à 175 € / h (hors main d’oeuvre) au Gaec de la Valette. Chaque tour durant en moyenne 45 minutes (0,75 h), il coûte environ 130 €.
  • A chaque tour, l’autochargeuse charge et distribue 0,45 tonne MS d’herbe, calculé en prenant la référence de 18 kg MS d’herbe / m3 de volume DIN (source AFPF et BCEL Ouest, 2015).

La mécanisation de l’affouragement en vert revient donc à au moins 250 € / TMS au Gaec de la Valette, (hors MO). Il faut y ajouter le coût de production de l’herbe, autour de 15 € / TMS, soit un coût total de 265 € / TMS d’herbe affouragée en vert, le double d’une tonne de maïs fourrage rendu auge (130 € selon le site Perel.fr). Contrairement au maïs, l’herbe est équilibrée pour produire du lait. Une tonne MS de maïs ensilage équilibré avec du tourteau de soja revient à 210 € / TMS (à 440 € / T de soja 48 incorporé à hauteur de 175 g / kg MS de maïs ensilage). Au Gaec de la Valette, l’herbe affouragée à l’autochargeuse coûte 1,3 fois plus cher que du maïs ensilage conventionnel équilibré rendu à l’auge (de valeur nutritionnelle comparable sur le papier).

Dans l’exploitation, le coût de l’affouragement en vert est pénalisé par deux facteurs. D’une part, la période d’affourragement est seulement de 150 jours par an et, d’autre part, la part de l’herbe affouragée dans la ration des vaches est comprise entre 0,6 et 0,7 tonne MS de fourrage vert par vache et par an. Une étude réalisée en 2015 en Bretagne (par BCEL Ouest qui a été absorbé dans INNOVAL depuis) montrait que pour être compétitif par rapport au maïs fourrage, l’affouragement en vert devait nourrir les vaches pendant au moins 250 jours avec au moins 1,5 tonnes de fourrage vert. Au Gaec de la Valette, on est loin de ces critères de rentabilité. Cependant, le coût de la ration bio distribuée à l’auge et ramené aux 1000 litres de lait livrés est très compétitif, même en intégrant les coûts de mécanisation élevés.

Données Clés du Gaec de la Valette
Caractéristique Valeur
Associés Cyril Lecordier et Philippe Mary
Type d'exploitation Laitière spécialisée, système bio herbager
Production laitière 1 million de litres de lait Bio livré
Nombre de vaches 150 vaches en croisement rotatif Prim’Holstein X Brune (< 6000 l / an)
Surface Agricole Utile (SAU) 210 hectares
Prairies naturelles 75 ha
Prairies temporaires de fauche 100 ha
RGI 20 ha
Ensilage de maïs épi 15 ha

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