L'alimentation en France en 1900: Une Époque de Transition et de Disparités

Dans un contexte de révolution industrielle, d’accroissement des surfaces agricoles et d’amélioration des rendements par l’émergence de la mécanisation et de la chimie, le secteur de l’alimentation évolue en France en 1900. Cette époque de progrès se caractérise par la raréfaction des famines et par un meilleur traitement des épidémies, parfois combinés à une absence temporaire de guerre.

Progrès Sanitaires et Industriels

Les progrès de la médecine et de l’hygiène jouent un rôle important. Dans le domaine de la santé, le Comité consultatif d’hygiène publique de France est créé en 1848, afin de contribuer à prévenir épidémies et épizooties, et d’organiser le contrôle de la salubrité des aliments et boissons. Mais c’est à la fin du XIXe siècle que la réglementation s’accentue, on parle alors d’« État hygiéniste ».

Une loi d’hygiène publique est adoptée pour appliquer les principes pasteuriens et assurer un cadre juridique à la sécurité des eaux potables. Celle-ci va définir le champ d’action du Comité consultatif d’hygiène publique qui devient, en 1906, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF), avec une section « Hygiène alimentaire, sérums et exercice de la médecine ». Cette « révolution sanitaire », marquée par le développement de la prévention et de l’hygiène, et l’émergence de la prophylaxie pasteurienne (la vaccination), favorise l’essor démographique (35 % entre 1800 et 1900).

Un nouveau secteur industriel émerge : l’industrie alimentaire. Il bénéficie de l’amélioration des techniques de conservation par la maîtrise de la chaîne du froid. Les glacières d’autrefois, qui étaient creusées, bâties ou mobiles (meubles) et qui stockaient la glace hivernale afin de maintenir les aliments au froid, sont remplacées par les réfrigérateurs. Le premier fonctionnant à l’aide d’une machine à vapeur fait son apparition en 1851. Vingt ans plus tard, l’ingénieur Charles Tellier en installe un sur le Frigorifique, ce cargo qui parvient à transporter en 105 jours de la viande entre l’Argentine et la France.

L’ère industrielle de l’alimentation est également celle de la conserverie. Nicolas Appert, un pâtissier français, met au point aux alentours de 1800 un système de conservation par stérilisation. Sa méthode suscita l’intérêt des armées napoléoniennes et de la marine marchande, qui pouvaient enfin être autonomes sur les champs de bataille et en mer. Tout ceci va contribuer à l’essor de la conserve et de l’industrie agroalimentaire, changeant ainsi considérablement l’offre alimentaire et les modes de consommation.

Aliments de Base et Habitudes Alimentaires

Le pain, bis ou noir, occupe une place très importante dans les repas. Celui de froment est réservé aux gens aisés, c’est une gourmandise. Le pain est consommé rassis, par économie. Pour le pain ordinaire, celui réservé aux paysans et ouvriers, les mélanges varient selon les régions. En Savoie, il est fabriqué à base de seigle mêlé à l'orge et aux pommes de terre. En Bretagne, l'orge y est associée au seigle et au froment, sauf dans les terres pauvres où il est de seigle uniquement.

Les bouillies sont un autre composant des repas. Elles occupent encore une place très importante dans le système alimentaire au 19ème siècle, comme en témoigne le nombre élevé des termes les désignant en fonction de la graine utilisée et du liquide de cuisson. Faite avec du lait, la bouillie devient broyés en Béarn, millas en Ariège, pastet dans les Hautes Pyrénées, gaudes en Jura et Basse-Bourgogne.

La soupe trempée de pain, est consommée au moins une fois par jour, à midi, et constitue un autre élément essentiel des repas. Les légumes verts utilisés restent peu nombreux : choux, oignons, oseille essentiellement et parfois, des haricots, des raves, des pommes de terre, quelquefois des carottes.

La pomme de terre est un aliment très utilisé dans les repas surtout dans l’alimentation ouvrière : A Lille, en 1860, les besoins d’une famille de 6 personnes s’élèvent à 5 kg par jour. Les médecins déplorent le déséquilibre alimentaire provoqué par cette surconsommation mais c’est affaire de budget : 1 kg de pomme de terre coûte 1 à 3 sous, 1 kg de viande de bœuf de 27 à 37 sous. On mange la pomme de terre sous différentes formes : en purée, en soupe, en ragoût - le rata-, ou simplement avec la pelure assaisonnée de sel.

A noter que la consommation de fruits achetés par an et par habitant passe de 13kg en 1850 à 40kg en 1900/1913. il est bien évident toutefois que le monde paysan et ouvrier ne peut pas acheter de fruits.

Peu de beurre (on sait encore mal le conserver) ; parmi les produits laitiers on a surtout le lait battu ou babeurre utilisé de multiples façons : la recette du lait battu à la tourquennoise par exemple consiste à faire cuire des morceaux de pommes et de pommes de terre dans du lait ayant reposé toute une nuit.

La viande, quand on en mange, c'est du porc, découpé en quartiers et mis au saloir, presque jamais fumé. Une partie du gras est fondu pour servir à la cuisine. Les volailles sont rares, vendues à la ville, tuées à l'occasion de certaines fêtes et pour les durs travaux de la moisson ou du battage. On mange de la viande de boucherie deux fois par an : à Mardi gras et à l'occasion de la fête locale.

Peu à peu le porc, jusque-là consommé une fois par semaine, devient quotidien. On commence à mettre le pot-au-feu le dimanche. Le café et le sucre font des apparitions ponctuelles, plus fréquentes dans le Nord et le Centre. A la fin du XIXe siècle la cafetière sera posée en permanence sur la cuisinière des maisons paysannes. Dans le Nord en ville ou à la campagne, le café accompagne les tartines du matin et du déjeuner ainsi que le repas du soir. En 1840, le docteur Villermé relate : « tous les ouvriers prennent à Lille chaque matin en se levant une et souvent deux tasses de café au lait presque sans sucre ».

Fin 19ème, le pain est de froment plus ou moins blanc, même en Bretagne. Pour le petit déjeuner, les femmes et les enfants adoptent le café au lait (ou un équivalent) et les tartines ; les hommes restent fidèles à la soupe. De nouvelles espèces de légumes verts sont cuisinés : salsifis, artichaut en Loire-Atlantique et en Allier, cornichon.

Les paysans se sont habitués au vin ; ils ont même planté des vignes pour leur consommation familiale. Ils fabriquent également de la piquette avec le moût et de la frênette. Les huiles de fabrication locale (navette, faîne, noix, noisette, œillette) qui entraient dans la préparation des salades cèdent la place à l'huile d'olive ou à l'huile d'arachide selon les régions car leur culture est peu rémunératrice et prend beaucoup de temps.

Dans le même temps, de nouvelles boissons apparaissent : bière dans le Midi, limonade et vin en Bretagne. L’enfant du second âge s’en va à l’école après avoir pris sa ration de cognac ; et il en prend encore à chaque repas. Les parents sont convaincus que l’alcool donne de la force. Il retire en effet l’appétit et par cela même ils s’imaginent qu’il nourrit. Dans les campagnes, c’est encore pire, si c’est possible ; les commères s’assemblent et absorbent plusieurs fois par jour de la “bistouille”, c’est-à-dire du café mélangé d’un tiers d’alcool et les enfants présents ont leur part du brevage toxique. L’enfant devient aussi nécessairement alcoolique : dès douze ans, il ne rêve plus que “bistouille”.

Disparités et Évolutions

À partir de la fin de la période révolutionnaire, presque tous les Français parviennent peu ou prou à manger à leur faim… même si, pour les ouvriers et les paysans, les menus demeurent peu diversifiés et rarement « équilibrés ». Cette évolution spectaculaire est le résultat de la révolution industrielle. Les plus grandes fermes se mécanisent et les pratiques agricoles progressent. Le rendement des terres cultivées et des animaux s’accroît sensiblement, de même que la productivité du travail des paysans : en 1900, sur la même surface, ces derniers produisent deux fois plus de céréales, deux fois plus de lait et trois fois plus de viande que cent ans auparavant, alors que la population n’a été multipliée « que » par 1,4.

Parallèlement, la fabrication des aliments s’industrialise et de nouvelles techniques de conservation sont inventées (comme la conserve stérilisée). Ce sont les aliments de base dont la consommation augmente le plus : céréales, légumes secs et pommes de terre. Ces dernières passent de 20 kg par personne et par an en 1810 à 160 kg en 1910. La consommation des fruits et légumes double entre le début et la fin du siècle. Dans le même temps, celle de pain passe de 500 à 900 grammes par jour.

À partir des années 1880-1890, la quantité totale d’aliments ingérés se stabilise. Les estomacs ont atteint la saturation. En revanche, la composition de l’assiette commence à se modifier en profondeur. Toutefois, des disparités importantes subsistent entre les villes et les campagnes, entre les différentes régions, entre les familles bourgeoises et ouvrières. En 1870, ces dernières consacraient près de 70 % de leur budget à la nourriture tandis qu’un foyer de la bourgeoisie n’y affectait « que » 40 %.

Chez les plus modestes, les repas sont très maigres (beaucoup de châtaignes, légumes et pain), dans les familles plus à l’aise, on se permet du vin, un peu de viande, du maïs en bouillie ou en galette, de l’huile de noix et du lard dans la soupe.

Ce sont les travaux agricoles qui déterminent le nombre et les lieux de repas dans le pays très rural qu’est la Dordogne en 1900 : Il y a plus de repas l’été pendant les moissons où le travail est harassant et les forces nécessaires.

Tableau Récapitulatif de la Consommation Alimentaire

Aliment Consommation en 1810 Consommation en 1910
Pommes de terre 20 kg/personne/an 160 kg/personne/an
Pain 500 g/personne/jour 900 g/personne/jour
Fruits et légumes Double entre le début et la fin du siècle

Après la 1ère guerre mondiale, rares sont les régions où les fermiers font encore leur pain. La crème se substitue au bouillon de lard salé, les gaufres se font au lait, etc. On mange plus gras et plus sucré.

Enfin, le 19e siècle est aussi marqué par le renforcement des cuisines régionales par rapport au centralisme parisien. Une réelle identité culinaire des régions commence à se mettre en place à cette période.

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