La crise alimentaire en République Démocratique du Congo : défis et perspectives

Le Programme alimentaire mondial (Pam) et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont présenté mardi 5 mars à Kinshasa de nouveaux chiffres alarmants. Cette année, environ 40 millions de personnes, soit 40 % de la population congolaise, sont confrontées à une insécurité alimentaire chronique de niveau modéré à sévère. Une situation préoccupante qui appelle à une action urgente, selon les analystes mandatés par le programme des Nations unies.

L'ampleur de l'insécurité alimentaire

Comme le soulignent les résultats de l’analyse mandatée par le Pam et de la FAO présentés mardi 5 mars à Kinshasa, en République démocratique du Congo, parmi les personnes qui ont besoin d’une intervention la plus urgente, il y a environ 16 millions de Congolais qui se trouvent dans une situation d'insécurité alimentaire chronique sévère. L'analyse, qui a porté sur l’ensemble du pays - soit 13 provinces et 77 territoires -, révèle que seule la ville-province de Kinshasa échappe à cette tendance alarmante. Elle est classée en « insécurité alimentaire chronique légère ». Près de 12 millions de personnes, soit 85 % de sa population, pourraient être concernées.

Facteurs contribuant à la crise

Les résultats pointent du doigt plusieurs facteurs contribuant. Les conflits et les violences armées persistants, notamment dans l'est du pays, sont des facteurs contribuant de manière significative à cette crise alimentaire. Les maladies, telles que les épidémies humaines ou celles transmises par les animaux, ainsi que les invasions contre les cultures, aggravent également la situation. L'analyse rappelle que ces crises multiformes perturbent les systèmes alimentaires, avec des conséquences sur les productions agricoles et les moyens de subsistance.

Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), suite aux offensives des rebelles du M23, le prix des denrées alimentaires a grimpé dans la ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, qui compte plus d'un million d'habitants. Les aliments les plus consommés, comme les pommes de terre et les haricots, ont vu leur prix doubler sur les marchés de Birere et Kituku, dont dépendent les Gomatraciens.

Au marché des produits vivriers de Birere, les commerçants se plaignent du manque de clientèle, mais aussi des taxes imposées par les groupes armés, qui ont fait grimper les prix en RDC. « Cette qualité de haricots multicolores se vend à 65$ par sac, le haricot rouge à 70$, un sac de pommes de terre se négocie à 95$ ! », observe l'un d'eux, Bahufite Ntihemuka.

En raison de la baisse de la production dans les régions de Masisi, Rutshuru et de la fermeture des routes, les produits vivriers sont de plus en plus rares à Goma. Grossiste en pommes de terre sur ce marché de Birere, Neema Ngarukiye a du mal à écouler sa marchandise, trop chère, et a aussi du mal à se la procurer : « Avant la guerre, je déchargeais dix camions par jour. Aujourd'hui, je ne parviens même pas à vendre un camion. »

Doublement des prix et impact sur les familles

Haricots, légumes, pommes de terre, les aliments les plus consommés à Goma ont vu leur prix doubler. Cette inflation nuit au pouvoir d'achat des familles. Assise sur une pierre volcanique devant son petit commerce d'habits féminins dans le quartier Ndosho, à l'ouest de Goma, Céline Mbuhu affirme qu'aujourd'hui, elle a des difficultés à nourrir ses enfants : « Nous vivons difficilement à cause de la guerre du M23. Auparavant, même avec mes sept enfants, je pouvais facilement m'approvisionner pour le repas du soir avec 5 000 francs congolais [1,7$]. Aujourd'hui, c'est quasiment impossible. »

Le marché de Kituku : un espoir pour Goma

Depuis l'avancée des rebelles du M23 qui ont encerclé la ville de Goma, l'approvisionnement en vivres est devenu un casse-tête. À une dizaine de kilomètres, au bord du lac Kivu, le marché de Kituku est devenu le seul espoir pour la survie de Goma. Les produits alimentaires quittent le territoire de Masisi, Minova et Buzi-Bulenga, dans la province du Sud-Kivu, et ils arrivent en masse chaque lundi et jeudi, jours de marché. Zawadi Emilliane est une commerçante qui traverse le lac Kivu, pour y vendre ses bananes plantains : « J'amène au moins dix régimes de bananes et si je gagne beaucoup, j'obtiens 10 000 francs CFA », se félicite-t-elle. Même le charbon, qui venait de Masisi et Rutshuru, provient désormais de Kalehe. « Il y a beaucoup d'activité au marché de Kituku, observe son président Chance Kanane.

Le rôle de l'agriculture locale

Solange, 36 ans, subvient aux besoins de ses six enfants en vendant des cacahuètes dans les rues de Goma, en République démocratique du Congo. L’aller-retour lui prend trois heures, et « elle revient souvent avec un panier encore plein. »« Nous avons la chance de posséder un petit bout de terrain autour de la maison qui nous permet de cultiver ces cacahuètes, explique-t-elle. Nous faisons aussi pousser du maïs et du manioc, mais c’est pour notre consommation personnelle. »Solange fait partie de ces millions de petits agriculteurs congolais typiques de l’agriculture du pays. Ce secteur contribue pour 42,5 % de la production nationale et emploie une grande partie de la population. Pourtant, la RDC fait partie des pays les plus touchés par la faim selon l’Indice de la faim dans le monde. Il a aussi été victime du conflit le plus meurtrier du monde depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le potentiel agricole de la RDC

Malgré les effets dévastateurs de la guerre, ce pays aussi vaste que l’Europe de l’Ouest a un fort potentiel agricole. Et les enjeux sont de taille : les pays frontaliers (Malawi, Zimbabwe, Zambie et Angola) font face à la pire crise alimentaire depuis 1985. Elle affecterait, depuis 2017, 50 millions d’individus.

Le réchauffement climatique va accentuer la récurrence des pénuries alimentaires, indiquent de nombreuses études. Même si le climat varié de la RDC pourrait légèrement en réduire les effets. « La RDC possède de vastes territoires, situés à la fois au nord et au sud de l’équateur. Toute l’année, le pays peut ainsi profiter de la saison des pluies. Contrairement aux autres pays d’Afriques, la RDC est le seul à être résilient au changement climatique, » affirme Alexis Bonte, représentant du pays à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Aujourd’hui, seule une petite partie des terres arables du pays sont dédiées aux cultures. Plus de 800000 km2 de terres agricoles de premier choix ne sont pas utilisées. « La République démocratique du Congo a la capacité de nourrir plus de 2 milliards d’individus, » assure Bonte. « Elle pourrait nourrir tout le continent, même si le nombre d’habitants augmentait. »

Outre son potentiel agricole, le pays possède des forêts tropicales considérées comme les « poumons de l’Afrique ». Elles abritent plus de 10 000 variétés de plantes, dont certaines sont utilisées comme plantes médicinales par les populations. « Elles pourraient aider à élaborer de nouveaux remèdes et soigner les gens atteints de malnutrition, » assure Alexis Bonte.

Les défis à surmonter

Alors, pourquoi les ressources du Congo sont-elles aussi peu exploitées ? « C’est l’un des grands problèmes de ce pays : les terres sont très vastes et variées, mais n’avons que très peu de données sur le sujet. Beaucoup de questions restent sans réponses, » indique Sara Menker, PDG de Gro Intelligence, une entreprise qui analyse les données de la productivité agricole mondiale.

Les agriculteurs peinent à décrocher des crédits et, s‘ils réunissent les conditions, on leur refuse souvent l’assurance qui va avec, déplore Sara Menker. Mais il y a de l’espoir. « Il existe des pays dans le monde, comme la Côte d’Ivoire, qui ont réussi à se libérer de la guerre civile et ont connu une croissance et un développement spectaculaires, » ajoute Menker.

Le développement de l’agriculture en RDC ne pourra pas se faire sans paix et sans une certaine stabilité.

L'action des Nations Unies

En République démocratique du Congo (RDC), la situation de la sécurité alimentaire reste désastreuse avec une personne sur trois - un record - souffrant de faim aiguë, deux agences des Nations Unies, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM) averti. "Pour la première fois, nous avons pu analyser la grande majorité de la population, et cela nous a aidés à nous rapprocher de l'image réelle de l'ampleur stupéfiante de l'insécurité alimentaire en RDC", a déclaré Peter Musoko, représentant du PAM en RDC. « Ce pays devrait pouvoir nourrir sa population et exporter un surplus. Le conflit reste une cause majeure de la faim avec de vastes étendues des provinces orientales touchées par le conflit de l'Ituri, du Nord et du Sud-Kivu et du Tanganyika, ainsi que la région centrale des Kasaïs, théâtre du récent conflit, la plus touchée.

« Les conflits récurrents dans l'est de la RDC et les souffrances qu'ils engendrent restent une grande préoccupation. La stabilité sociale et politique est essentielle pour renforcer la sécurité alimentaire et accroître la résilience des populations vulnérables. Nous devons de toute urgence nous concentrer sur la production de nourriture là où elle est le plus nécessaire et sur le maintien en vie des animaux de subsistance. Derrière les chiffres se cachent les histoires de parents privés d'accès à leurs terres, ou contraints de fuir pour sauver leur vie, voyant leurs enfants tomber malades par manque de nourriture. Le personnel du PAM a rencontré des familles qui sont retournées dans leur village pour trouver leur maison incendiée et leurs récoltes entièrement pillées. Les populations les plus touchées sont principalement les déplacés, les réfugiés, les rapatriés, les familles d'accueil et les personnes affectées par les catastrophes naturelles (inondations, glissements de terrain, incendies) ainsi que les ménages dirigés par des femmes.

La FAO se concentre sur l'amélioration de l'accès des ménages aux outils et aux semences ; fournir un bétail de qualité, qui joue un rôle clé dans l'amélioration de la nutrition; soutenir les processus et le stockage des aliments ; et aider les petits agriculteurs à lutter contre les maladies animales et végétales. Dans le cadre de son travail de prévention de la famine, le PAM fournit des aliments vitaux à 8.7 millions de personnes en RDC. En outre, le PAM doit notamment pouvoir poursuivre son travail dans la prévention et le traitement de la malnutrition qui touche 3.3 millions d'enfants en RDC. Dans un mouvement vers une solution à plus long terme, la FAO et le PAM investissent dans des projets de renforcement de la résilience qui soutiennent l'agriculture communautaire pour augmenter les rendements, réduire les pertes et stimuler l'accès aux marchés.

Les nouvelles données de la dernière analyse de la Classification intégrée de la sécurité alimentaire (IPC) révèlent le nombre le plus élevé jamais enregistré de populations en situation d’insécurité alimentaire aiguë en République démocratique du Congo (RDC). Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), un nombre alarmant de 28 millions de personnes sont maintenant confrontées à la faim aiguë (phase 3 de l’IPC et plus) dont 3,9 millions de personnes menacées par des niveaux de faim d'urgence (phase 4 de l’IPC). Il s’agit d’une hausse de 2,5 millions depuis la dernière flambée de violence en décembre. Les déplacés internes fuyant les violences restent parmi les plus vulnérables. Plus de deux millions de personnes déplacées souffrent d’une faim aiguë, dont 738.000 des niveaux d’urgence.

Inquiétudes au Nord-Kivu, Sud-Kivu et en Ituri

« La situation humanitaire en RDC se détériore à un rythme alarmant. Les familles qui avaient déjà du mal à se nourrir sont maintenant confrontées à une réalité encore plus dure », a déclaré Eric Perdison, Directeur régional du PAM pour l’Afrique australe.

La situation est particulièrement grave dans les provinces orientales de la RDC touchées par le conflit, où les familles ont perdu l’accès à leur bétail et à leurs moyens de subsistance. Plus de dix millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont 2,3 millions en situation d’urgence dans l’est du pays.

Dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri, les affrontements armés continuent de perturber la production alimentaire et les routes commerciales, tandis que l’accès humanitaire reste limité, les risques sécuritaires entravant la capacité d’acheminer l’aide essentielle.

Dans le même temps, l’inflation et la perturbation des chaînes d’approvisionnement ont contribué à l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Les aliments de base tels que la farine de maïs, l’huile de palme et la farine de manioc connaissent des augmentations de prix allant jusqu’à 37 % par rapport aux niveaux d’avant la crise (décembre 2024).

Éviter une catastrophe à grande échelle

Face à cette détérioration de la situation humanitaire, le PAM et la FAO travaillent ensemble pour fournir une aide alimentaire et nutritionnelle vitale tout en renforçant la résilience des communautés vulnérables. Environ 25,6 millions de personnes en RDC, soit 22% de la population analysée, connaîtront une insécurité alimentaire aiguë élevée (phase 3 de l’IPC ou plus), entre juillet et décembre 2024. Ce chiffre inclut environ 3,1 millions de personnes confrontées à des niveaux critiques d’insécurité alimentaire (phase 4 de l’IPC).

Les projections pour le début de l’année 2025 laissent entrevoir des perspectives similaires, à moins qu’une aide efficace ne soit apportée.

En attendant, la violence armée et la compétition pour les ressources continuent de causer des « dommages massifs » aux moyens d’existence et aux infrastructures rurales, perturbant la production agricole essentielle.

Même un léger choc pourrait pousser encore plus de personnes au bord du gouffre

« La situation de la sécurité alimentaire reste critique pour des millions de personnes en RDC », a déclaré dans un communiqué, Rein Paulsen, Directeur du Bureau des urgences et de la résilience de la FAO.

D’autant que compte tenu de l’ampleur de cette crise, même un léger choc - tel que la hausse des prix des denrées alimentaires ou une mauvaise récolte - pourrait pousser encore plus de personnes au bord du gouffre.

Selon les dernières données de la FAO sur les situations d’urgence, l’impact du conflit sur les moyens d’existence agricoles dans l’est du pays est préoccupant. Par rapport à l’année dernière, 25% des éleveurs ont signalé des pertes d’animaux et 35% des ménages affectés ont cultivé moins de terres.

« Pour inverser ces sombres tendances, il est essentiel de mettre fin aux hostilités, de rétablir la production alimentaire locale et d’aider les familles rurales à renforcer leur résilience et à améliorer leur productivité », a ajouté M.

Réponse d’urgence de la FAO à l’insécurité alimentaire

La FAO aide les familles touchées par le conflit dans l’est de la RDC à améliorer leur sécurité alimentaire et leur nutrition. L’agence onusienne donne la priorité à l’aide aux personnes déplacées, aux rapatriés et aux communautés d’accueil à risque, en les aidant à satisfaire leurs besoins essentiels et à générer des revenus par le biais d’activités de subsistance d’urgence.

La FAO prépositionne également des intrants agricoles, notamment des semences de légumes et des outils, dans les régions touchées par le conflit afin de relancer la production agricole. Les ménages seront en mesure de produire, sur de petites parcelles, une moyenne de 100 kg de légumes frais par ménage en un peu plus de deux mois.

La FAO aide 25.000 ménages vulnérables, soit environ 150.000 personnes, dans le Nord-Kivu et l’Ituri par le biais de Cash+, en combinant des transferts monétaires inconditionnels avec du micro-jardinage ou des intrants pour la production animale.

Le potentiel de la RDC en tant que grenier agricole

La République démocratique du Congo (RDC) est l’un des pays les plus vastes et les plus peuplés d’Afrique (près de 100 millions d’habitants). Le pays regorge de ressources naturelles considérables (mines, forêts). C’est également un important pays agricole, l’agriculture constituant le premier secteur de l’économie nationale (manioc, plantain, maïs, haricots, huile de palme, café, bois, caoutchouc …) et concernant près de 70 % de la population active. Au vu du potentiel agricole, la RDC pourrait être un grenier agricole pour la sous-région.

Contexte et enjeux de développement

Deuxième pays forestier tropical au monde (145 millions d’hectares) et premier pays forestier du bassin du Congo (deux tiers des surfaces), la République démocratique du Congo (RDC) est en cours de mise en œuvre de son plan d'investissement sur le processus REDD+ (Réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts) qui se veut un outil de gouvernance forestière.

Dans ce cadre, les activités développées par le Cirad en RDC intéressent principalement l’unité de recherche Forêts et Sociétés (F&S). Les chercheurs de l’unité Forêts et Sociétés contribuent à plusieurs projets de recherche-développement et de formation, notamment à Kisangani, en partenariat avec son université dans le cadre du projet européen "Forêts" (enseignement, encadrement d’étudiants) et à un projet "Bois-énergie" dans un cadre CAFI/FONAREDD/PNUD qui intéresse les villes de Lubumbashi, Kinshasa, Goma et Bukavu et leur approvisionnement en bois-énergie.

Insécurité alimentaire aiguë en RDC (Juillet-Décembre 2024)
Phase IPC Nombre de personnes Pourcentage de la population analysée
Phase 3 (Crise) ou plus 25,6 millions 22%
Phase 4 (Urgence) 3,1 millions -

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