Pouvoir modéliser l’alimentation des animaux d’élevage est un objectif qui a demandé beaucoup de recherches, de manière à calculer et prévoir la nourriture nécessaire pour atteindre un niveau de production donné sans gaspillage. Cela permet ensuite d’estimer les coûts d’alimentation ou bien la production possible, selon la quantité et la qualité des fourrages disponibles. Divers systèmes de modélisation de l’alimentation des ruminants ont ainsi été créés. Ils sont basés sur des approches différentes et ont chacun leur utilité en fonction du contexte.
Systèmes de Modélisation de l'Alimentation des Ruminants
Nous allons ici présenter les principaux systèmes utilisés en France et en Nouvelle-Zélande, pays des pâtures s’il en est. Pour parler de l’énergie apportée par un aliment ou un fourrage, il faut préciser de quelle énergie on parle : l’énergie totale contenue dans l’aliment, mesurable en brûlant celui-ci, l’énergie digestible, l’énergie utilisée par l’animal ?
- Énergie digestible : énergie d’un aliment calculée après des essais de digestibilité.
- Énergie métabolisable (EM, ou ME en anglais) : énergie des aliments digérés, soit l’énergie brute de la nourriture moins les pertes d’énergie dans les fèces, les gaz éructés, l’urine.
- Énergie nette : énergie métabolisable moins l’énergie liée à la digestion perdue sous forme de chaleur.
Unités Fourragères (UF) en France
En France, on utilise ainsi couramment les unités fourragères (UF) pour décrire l’apport énergétique d’un aliment. Une UF correspond à la valeur énergétique d’1 kg d’orge, soit en matière d’énergie nette :
- 1700 kcal (kilocalories) = 7,11 MJ (mégajoules) pendant la lactation (on parle alors d’UF lait ou UFL)
- 1820 kcal = 7,61 MJ à l’engrais (on parle alors d’UF viande ou UFV)
Les unités fourragères ont été définies pour remplacer les unités classiques de mesure d’énergie (calories, joules) : il est apparemment plus facile de se représenter l’apport énergétique d’un kilogramme d’orge que celui de 7,5 mégajoules pour ensuite comparer la valeur d’une prairie en constante évolution… En réalité, il est très difficile d’estimer la valeur de sa prairie avec de l’orge.
Énergie Métabolisable (MJEM) en Nouvelle-Zélande
Dans les pays anglophones et particulièrement en Nouvelle-Zélande, l’apport énergétique des aliments est décrit en mégajoules d’énergie métabolisable par kilogramme de matière sèche (MJEM/kgMS ou MJME/kgDM en anglais). Ils n’ont pas la même approche qu’avec les unités fourragères, la clarté scientifique est favorisée.
Parler d’énergie métabolisable plutôt que d’énergie nette n’est pas une différence majeure, dans la mesure où celles-ci ont des valeurs relativement proches (seule l’énergie de la chaleur liée à la digestion les distingue). Exprimer les résultats en mégajoules plutôt qu’en quantité d’énergie apportée par un kilogramme d’orge (unités fourragères) permet en revanche de s’affranchir des différences de métabolisme entre des ruminants à l’engrais ou en lactation : la valeur énergétique se réfère à l’aliment et non à l’animal qui le consommera. Il est aussi plus simple de mesurer la valeur d’un aliment donné sans, en plus, avoir besoin de le comparer à 1 kg d’orge.
Quelle que soit l’unité choisie pour représenter l’énergie d’un fourrage ou d’un aliment, il est difficile de dire qu’une est meilleure que l’autre. Elles sont différentes et utilisées dans des pays distincts. - Cela permet de rationner la quantité de matière sèche allouée chaque jour au cheptel et de projeter des objectifs de performance en fonction des besoins d’une part et de la valeur des pâturages d’autre part.
Apports Protéiques pour les Ruminants
Passons maintenant aux systèmes utilisés concernant les protéines. L’ingestion de protéines par les ruminants est importante, car elles contiennent des acides aminés et de l’azote nécessaires à leur métabolisme qu’ils ne peuvent pas tous fabriquer eux-mêmes.
Protéines Brutes en Nouvelle-Zélande
En Nouvelle-Zélande, la quantification des apports de protéines se fait souvent en estimant le taux de protéines brutes (« crude proteins »). Comme le taux de protéines n’est pas mesurable facilement en laboratoire, le taux de protéines brutes estimé correspond en fait au taux d’azote total multiplié par 6,25. Cela permet d’obtenir une estimation du taux de protéines des plantes à coût modéré, mais en sachant que cette méthode inclut l’azote non protéique dans son résultat. En toute rigueur, il faudrait plutôt parler de matières azotées totales plutôt que de taux de protéines brutes.
Enfin, l’utilisation du taux de protéines brutes pour l’alimentation des ruminants présente un autre défaut : il ne prend pas en compte les spécificités du système digestif des ruminants, et en particulier le rôle des micro-organismes du rumen.
Système PDI (Protéines Digestibles dans l'Intestin) en France
En France, la nutrition protéique des ruminants a été modélisée par l’INRA sous la forme du système PDI : « protéines digestibles dans l’intestin ». Un des avantages de ce système est qu’il prend en compte la digestion particulière des ruminants et se focalise sur l’assimilation des acides aminés des protéines qui a lieu dans l’intestin grêle (voir notre article précédent sur la composition des plantes et leur digestion par les ruminants). Comme le développement des micro-organismes du rumen peut être limité soit par la quantité d’énergie, soit par la quantité de protéines végétales qu’ils ont à disposition, on parle aussi de PDIMe si l’énergie est limitante ou de PDIMn si l’azote est limitant.
Concrètement, une analyse de fourrage ou d’aliment avec le système PDI donne des résultats en grammes de PDIA, de PDIMe et de PDIMn par kilogramme de matière sèche. On peut aussi avoir les valeurs de PDIN (soit PDIA + PDIMn) ou de PDIE (soit PDIA + PDIMe). En vérité, le système PDI n’est pas utilisable en pâturage, car il est adapté à un système d’alimentation qui n’est pas sujet à des fluctuations saisonnières et il faut que la composition de la prairie soit toujours quantifiable. Combien de trèfles blancs avez-vous ? Pour quelle valeur ? Pendant combien de temps ?
Importance de la Compréhension des Unités Nutritionnelles
Nous avons donc passé en revue les systèmes de modélisation des principaux éléments de l’alimentation des ruminants : l’énergie et les protéines. Il faut retenir que, quel que soit le système utilisé (unités fourragères, mégajoules d’énergie métabolisable ou protéines brutes, PDI), il est important de comprendre à quoi correspondent les différentes unités.
L’alimentation des ruminants est un déterminant essentiel de leur productivité et savoir comment interpréter des résultats d’analyse pour pouvoir répondre aux besoins alimentaires des animaux est une compétence utile pour la réussite d’un élevage. Cela permet d’éviter des erreurs, telles qu’un apport de compléments superflu car non assimilé totalement, et ainsi d’être plus autonome dans l’interprétation de ses analyses de fourrage. Il nous semble plus simple d’utiliser une mesure identique pour évaluer le besoin et la qualité, cependant pourquoi ne pas laisser des scientifiques gérer les élevages à notre place ?
Utilisation Réelle des Valeurs Alimentaires
Maintenant que nous avons abordé les différents modèles élaborés pour mesurer la valeur alimentaire, nous allons nous intéresser à ce que vous pouvez utiliser réellement. Il est important de noter que pour avoir des valeurs alimentaires précises, il faudrait procéder à une analyse en laboratoire. Cela est réalisable si l’alimentation provient d’un sac ou d’un silo, mais en pâturage, il est très difficile d’appliquer le même principe, car vous évoluez dans un écosystème dynamique.
Exemple d'Évaluation de la Qualité de la Prairie
Le tableau ci-dessous permet de définir la qualité de la prairie. Nous utilisons les besoins en énergie métabolisable comme base de travail. A partir de cela, nous pouvons augmenter les besoins d’énergie pour répondre à des objectifs de croissance. Par exemple, une vache allaitante de 650 kg vifs a un besoin en entretien de 83 MJEM/jour. Si votre prairie est composée de 40 % de légumineuses, de moins de 10 % de matière morte et que nous sommes au printemps (début phase végétative/montaison), à l’aide des deux tableaux ci-dessus, nous pouvons estimer que nous avons une valeur de 12 MJEM/kgMS.
Autres Aliments et Compléments pour l'Alimentation Bovine
Outre l'orge et les fourrages, divers autres aliments et compléments sont utilisés dans l'alimentation bovine pour répondre à leurs besoins nutritionnels spécifiques :
- Pulpe sèche de betterave : Elle est bien pourvue en calcium mais très pauvre en phosphore. Les teneurs en cellulose brute, NDF et ADF sont élevées par rapport à celles des aliments dits « concentrés », mais sa teneur en lignine est faible.
- Mélasse : Aliment énergétique dont la valeur nutritive est due à la digestibilité élevée de ses sucres. Toutefois, la déficience de la mélasse en azote limite son niveau d’incorporation dans la ration.
- Pulpe de caroube : Elle se caractérise par une faible teneur en cendres et une faible valeur protéique, mais elle est très riche en sucres hydrosolubles.
- Tourteaux : Le tourteau de tournesol a une teneur en MAT allant de 36% à 45%. Ces MAT sont essentiellement des protéines facilement dégradables au niveau du rumen (77%).
- Son de blé : Classé parmi les aliments moyennement riches en azote, le son de blé a une teneur en MAT allant de 13,4 à 17,5%.
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