Les troubles de l’oralité chez l’enfant ont été largement abordés lors des JFN 2022. Les comportements alimentaires évoluent très rapidement au cours de la période postnatale et durant les premières années de la vie. Pourtant, le simple fait de prendre et d’ingérer des aliments n’est pas anodin pour tout le monde, en particulier pour les enfants et les adultes souffrant de troubles de l’oralité.
Définition et Complexité des Troubles de l'Oralité
Les troubles de l’oralité ne constituent pas une entité clinique reconnue de longue date. Au contraire, ils regroupent différentes difficultés de l’alimentation, regroupés sous le terme de troubles de l’oralité. Une définition récente fait consensus au sein de la communauté médicale et scientifique, mais elle n’est pas encore adoptée par tous les professionnels : c’est le terme de « troubles alimentaires pédiatriques » qui a été retenu.
Aujourd’hui, les troubles de l’oralité sont définis comme les difficultés d’alimentation de plus de 15 jours, quel que soit l’âge (du plus jeune âge à l’âge adulte), quelle que soit la cause. Ils ne doivent en aucun cas être confondus avec les troubles du comportement alimentaire, dont les plus connus sont l’anorexie mentale et la boulimie. Le trouble alimentaire pédiatrique se définit par une consommation ne permettant pas une croissance et un développement harmonieux de l’enfant. Il peut toucher la quantité et/ou la qualité des aliments ingérés.
Le trouble peut être isolé et nécessitant une évaluation médicale pédiatrique, une évaluation de la déglutition ou encore une évaluation psychologique. Il peut être aussi associé à un contexte génétique particulier.
Causes des Troubles de l'Oralité Alimentaire
Les causes sont diverses et multiples. Les troubles de l’oralité alimentaire peuvent apparaître chez un enfant, dès le plus jeune âge ou plus âgé, parfois sans aucune cause ou phénomène déclencheur. Néanmoins, certaines circonstances semblent prédisposer au développement de troubles de l’oralité alimentaire :
- La prématurité
- L’existence de malformations congénitales (malformations détectées dès la naissance) ou le polyhandicap
- Les troubles du spectre autistique (TSA)
- L’existence d’une ou plusieurs maladies chroniques
- Les antécédents de port de sonde nasogastrique ou de nutrition artificielle (plus la sonde ou la nutrition artificielle ont été utilisées longtemps, plus le risque est élevé).
Les causes, encore mal connues, mêlent les fonctions motrices, les fonctions sensorielles et/ou les fonctions comportementales. Les facteurs liés à l’évolution organique. Les facteurs liés à la maturation psychoaffective. Pascale Fichaux-Bourin souligne l’importance de la bonne mise en place des liens d’attachement ainsi que de l’acquisition de l’autonomie et du schéma corporel.
Conséquences Nutritionnelles et Dépistage de l'ARFID
Le trouble d’alimentation sélective et/ou d’évitement (ARFID : Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder) est un trouble du comportement alimentaire qui a été inclus dans le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux - 5e édition) en 2013. Il s’agit d’un désordre alimentaire qui se manifeste par une incapacité persistante à atteindre les besoins nutritionnels et/ou énergétiques appropriés, associée à une perte de poids significative ou un déficit nutritionnel significatif ou la nécessité de suppléments nutritionnels.
L’ARFID n’est expliqué ni par une indisponibilité des aliments ou par des habitudes culturelles, ni par une pathologie concomitante. Très peu d’articles scientifiques examinent les conséquences nutritionnelles de l’ARFID. François Feillet évoque, chez les enfants présentant un ARFID, des densités minérales osseuses plutôt basses, des anémies fréquentes, des déficits en zinc ou en sélénium liés à un faible apport en protéines animales, des déficits en fibres et des taux très bas de vitamine C associés à une maigre consommation de légumes et de fruits.
François Feillet insiste sur l’importance du dépistage précoce de l’ARFID. Il préconise, en particulier, la réalisation d’une enquête alimentaire rapide à chaque consultation pédiatrique, afin de ne pas passer à côté d’un évitement d’une ou plusieurs catégories alimentaires. Il pointe aussi la nécessité de réaliser un certain nombre de dosages biologiques en fonction des catégories alimentaires évitées.
En effet, il souligne que le style parental permissif (souvent lié à un excès d’accommodation parentale) est le facteur le plus corrélé avec les difficultés alimentaires chez l’enfant. Pour conclure, François Feillet tient à mettre en avant le rôle que peuvent jouer les parents dans la guérison et l’importance de mettre en place une structure bienfaisante pour l’enfant, teintée d’une juste autorité parentale.
Tableau des Dosages Biologiques Recommandés
En fonction des catégories alimentaires évitées, certains dosages biologiques sont recommandés pour évaluer les carences potentielles.
Catégories Alimentaires Évitées | Dosages Biologiques Recommandés |
---|---|
Protéines animales | Zinc, Sélénium |
Légumes et fruits | Vitamine C, Fibres |
Importance de l'Exploration Orale et Stimulation Sensorielle
Les premières coordinations main-bouche débutent in utero et se poursuivent après la naissance. Elles permettent progressivement au jeune enfant de porter les objets à la bouche et contribuent ainsi à l’investissement de la sphère orale. L’exploration orale des objets, tout comme la mise en bouche des aliments, sont à l’origine d’expériences sensorielles riches.
Dr Marc Bellaïche (Hôpital Robert-Debré, Paris) présente une étude, réalisée en milieu hospitalier au sein du département de pédiatrie, ayant pour objectif d’examiner si le fait de porter les objets à la bouche pourrait constituer un prérequis nécessaire au bon développement de l’oralité alimentaire. Les données montrent également, chez les enfants inclus dans le groupe des cas, une irritabilité sensorielle significativement supérieure à celle du groupe témoin, que cette irritabilité soit visuelle (18,8 vs 1,8 %, P < 0,001), olfactive (32,2 vs 2,7 %, P < 0,001) ou tactile (66,8 vs 5,5 %, P < 0,001). En conclusion, cette étude suggère que l’exploration orale des objets pourrait être un préambule nécessaire à la bonne gestion d’une alimentation diversifiée.
Un défaut d’acquisition de l’exploration orale des objets pourrait s’expliquer, en partie, par une irritabilité sensorielle exacerbée qui se manifesterait aussi par un défaut de la marche à 4 pattes (car cette dernière implique une exploration du sol avec les mains). Marc Bellaïche conseille de favoriser le plus possible la stimulation sensorielle chez les jeunes enfants : un enfant âgé de 8 à 10 mois qui attrape des objets sans les mettre à la bouche devrait être sollicité de manière récurrente par ses parents pour contribuer à prévenir l’apparition de difficultés alimentaires au moment de la diversification.
Signes d'Alerte et Populations à Risque
Manger est un besoin vital, un acte social, un plaisir partagé ainsi qu’un éveil de tous les sens. Ces signes peuvent apparaître isolément ou de façon groupée chez l’enfant. Ils doivent être recherchés lors de tout examen clinique. Dès leur repérage, parlez-en à votre médecin qui vous orientera si nécessaire vers un professionnel formé (orthophoniste, psychomotricien, ergothérapeute, psychologue…).
Certaines populations d’enfants sont plus à risque concernant le développement des troubles de l’oralité. En effet, ils ont en commun de nécessiter une chirurgie néonatale, des soins et des hospitalisations dès les premiers mois de vie, dans cette période si importante pour le développement de l’oralité alimentaire. Ces conditions de vie mettent en difficulté les acquis psychomoteurs et sensoriels indispensables à l’oralité alimentaire.
Des difficultés d’investissement de la sphère orale comme source de plaisir sont constatées, elles ont un retentissement sur tout le développement des étapes alimentaires de l’enfant et sur le développement global.
Diagnostic et Prise en Charge Pluridisciplinaire
La définition complexe et récente des troubles de l’oralité alimentaire, le consensus seulement récent de la communauté scientifique expliquent la difficulté de diagnostic observée par les professionnels de santé sur le terrain.«Les troubles de l’oralité alimentaire sont sous-diagnostiqués et lorsque le diagnostic est posé, le processus est souvent long, alors même que ce délai peut prolonger la durée de la prise en charge et son efficacité », déplore Lucie Briatte.
Il est fondamental de pouvoir repérer les signes précoces des troubles de l’oralité. En cas de doute, un bilan auprès d'un orthophoniste est à envisager avec le médecin ou le pédiatre.« Dès le repérage des premiers signes, l’idéal est de pouvoir consulter un pédiatre, voire un gastro-pédiatre, qui pourra rechercher un reflux gastro-œsophagien ou d’autres problèmes somatiques. Mais les consultations spécialisées sont rares, et inéquitablement réparties sur le territoire », explique Lucie Briatte.
La prise en charge des troubles de l’oralité alimentaire est par définition pluridisciplinaire, avec un travail en réseau et plusieurs bilans effectués par :
- Le médecin généraliste ou le pédiatre
- L’orthophoniste
- Le psychomotricien
- Le masseur-kinésithérapeute
- L’ergothérapeute
- Le psychologue
- Le diététicien
« Chaque professionnel apporte son regard sur la situation et sa contribution à la prise en soin de l’enfant », précise Lucie Briatte.Plus la prise en charge est précoce, plus elle peut être de courte durée et inversement. Lorsque le diagnostic n’arrive qu’après l’âge de 4 ans, la prise en charge peut alors durer plus longtemps, parfois plusieurs années.
Conseils aux Parents
« Dans un premier temps, il est capital de déculpabiliser les parents et de leur donner quelques conseils pour la vie quotidienne, par exemple de ne pas juger leur enfant, d’éviter les mauvais comportements, de ne pas se laisser influencer par le regard de l’entourage, … », conseille Lucie Briatte.Les repas ponctuent le quotidien de l’enfant et de sa famille et la survenue de troubles de l’oralité peut rapidement altérer la vie quotidienne, sans parler du regard ou du jugement des proches.
Face à cette situation, quelques conseils utiles peuvent être donnés aux parents :
- Alléger le côté éducatif concernant l’alimentation, ne surtout pas forcer, ne pas rentrer dans le chantage, éviter les négociations permanentes
- Éviter que les repas ne deviennent des moments de conflits
- Faire participer l’enfant aux courses, à la cuisine, lui faire découvrir de nouvelles textures
- Bien installer l’enfant pour manger (ses pieds doivent pouvoir reposer sur une tablette fixe, ce qui n’est pas le cas avec de nombreuses chaises hautes)
- Présenter les aliments sous forme ludique
- Bien séparer les différents aliments dans l’assiette
« Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur les troubles de l’oralité, je vous invite à lire l’ouvrage que j’ai co-écrit avec Lauriane Barreau-Drouin, Troubles Alimentaires Pédiatriques, paru en 2021 aux éditions Tom Pousse », conclut Lucie Briatte.
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