Se présentant comme objecteur de croissance et amoureux du bien vivre, Paul Ariès a dirigé plusieurs médias, tout en multipliant les essais et conférences. Il est l'auteur d'une "Lettre ouverte aux mangeurs de viande".
La liberté individuelle et la santé publique
Consommer ou non de la viande, du fromage ou du lait relève d’abord de la liberté individuelle, mais parfois également de la santé publique. Végétariens et végétaliens me sont sympathiques lorsqu’ils ne cherchent pas à imposer aux autres leurs choix alimentaires. Dans le cas contraire, c’est contestable et les arguments avancés s’avèrent souvent discutables. Chacun est donc libre de choisir son régime alimentaire, tant qu’il ne menace pas le droit à l’alimentation d’autrui.
Production industrielle vs. agriculture paysanne
Le vrai clivage n’est d’ailleurs pas entre protéines animales et végétales, comme le clament les végans, mais entre la production industrielle de celles-ci et une agriculture paysanne avec un élevage de type fermier. Je ne peux accepter l’idée de vouloir imposer du faux lait, du faux fromage, de la fausse viande fabriquée, par exemple, en usines, à partir de cellules souches. Les végans ont raison de dénoncer certaines dérives de l’industrialisation, mais pas d’accuser les mangeurs de viande d’affamer l’humanité ou encore d’être responsables du réchauffement climatique, entre autres. Je le dis tranquillement : ils ont tout faux.
L’agriculture végane serait d’ailleurs incapable de nourrir 8 milliards d’humains. La seule solution pour remplacer le fumier animal serait d’utiliser toujours plus d’engrais chimiques, de produits phytosanitaires… Bref, tout ce qui détruit l’humus. L’élevage fermier n’est pas davantage responsable du réchauffement climatique. Une prairie avec ses vaches n’est pas une source, mais un puits de carbone.
Critique de l'antispécisme et du véganisme
Le veganisme n'est pas un régime naturel pour l'homme et est mauvais pour sa santé. L'antispecisme se propose de subvertir l'ordre naturel et les équilibres du vivant. Dans sa recherche de nouvelles définitions de l'humain, de l'animal, du vivant, des frontières entre eux, l'antispecisme se heurte à des apories incontournables qui conduisent à une véritable culture de déshumanisation et de mort et sont la négation de tout humanisme.
Le véganisme apparaît comme une nouvelle religiosité qui se développe dans un contexte de régression des grandes religions (surnaturelles ou athées) car la nature a horreur du vide. Lassociation antisectes UNADFI qualifie dailleurs le véganisme dentrée en religion1. Le végan a la conviction dappartenir à une petite minorité éclairée, une avant-garde dont la mission est de conduire le peuple des mangeurs de viande au nirvana des légumistes Lhistoire ne les a visiblement pas vaccinés contre les prétentions à faire le bonheur des gens sans eux et contre eux.
Cette religiosité végane aboutit très vite à des logiques sectaires, car les libérateurs animaux se sont donné une mission bien trop grande pour eux supprimer toute souffrance au sein du monde sentient, reformater la planète, etc. Ce trop grand écart entre le réel et ce qui est possible est nécessairement pathogène. La première façon de gérer ce sentiment dimpuissance est daccuser les autres den être responsables, doù la violence verbale, mais également physique, de nombreux antispécistes ! La logique végane est celle du soupçon, de laccusation, de lanathème, de la persécution.
Prenez garde, amis omnivores, de ne pas être, demain matin, poursuivis pour avoir cédé à la gourmandise dune tranche de lard ou osé porter un pull en laine, des chaussures en cuir, les talibans de la pensée végane veillent. Jaccuse ces végans de relativisme éthique dès lors quils introduisent la notion de qualité de vie pour juger de la dignité dune personne handicapée, sénile, etc. Jaccuse ces végans de relativisme éthique puisque, à les écouter, les camps dextermination ne seraient quun détail dans lhistoire au regard de la situation animale, parce que parler dun « Éternel Treblinka» constitue une banalisation du génocide juif, tsigane, homosexuel, parce que comparer la libération des animaux à celle des esclaves est une pensée odieuse conduisant à tous les dérapages.
Le flexitarisme : une approche modérée
Nous sommes quasiment tous flexitariens, comme le montrent les dernières enquêtes du CREDOC, organisme de référence, qui analyse nos modes de consommation. D’ailleurs, cette tendance n’est ni nouvelle, ni aléatoire et, indépendamment des attaques dont la viande peut faire l’objet, il s’agit d’un vrai mouvement de fond.
Dans une acception plus large et libérale, en ce qui concerne la viande précisément, cette tendance consiste à consommer des produits de qualité, de façon éclairée, raisonnable. Concrètement, il s’agit d’avoir conscience de ce que l’on mange, en mesurant ce que cela implique pour l’animal, ses conditions de vie et de mise à mort, mais aussi pour nous autres humains, qui avons des besoins à la fois alimentaires et conviviaux.
Les bienfaits de la viande et l'importance de l'élevage
Oui, car les apports biologiques propres à la viande aident à rester en bonne santé. Par contre, on peut en consommer un peu moins : on recommande d’ingérer 50% de protéines animales et 50% d’origine végétale, mais l’Europe de l’Ouest se situe plutôt sur un ratio de 65/35. Cela étant, beaucoup de plats de notre patrimoine gastronomique associent les deux, comme le petit salé aux lentilles ou le cassoulet.
Aussi, j’estime qu’on a le droit de manger la viande des animaux, s’ils sont élevés dans de bonnes conditions. L’idée est surtout que l’élevage permet de maintenir des races, qui n’existeraient plus sans nous, car elles seraient inutilisées, mais aussi des agroécosystèmes, qui disparaîtraient sans leur fumier. Il n’y aurait alors plus de polyculture/élevage, de prairies, de bio… C’est bien l’agriculture née à la fin du XVIIIe siècle, associant fumier, assolement et culture des légumineuses, qui a évité les famines. Sans oublier que l’élevage français à l’herbe est bénéfique sur le plan environnemental, puisqu’il contribue notamment à l’absorption du carbone.
Les limites des alternatives à la viande
La production de viande artificielle n’est pas au point, coûterait cher énergétiquement, n’apporterait pas les mêmes nutriments et nécessite beaucoup de facteurs de croissance qui sont interdits en élevage. Quant aux substituts végétaux de la viande, ce sont des produits très transformés. Les insectes : il s’agirait d’une production industrielle avec un impact écologique et serait-ce vraiment à notre goût ?
Chercher une alternative à la viande n’est pas la question. Certes, le Sud-Est asiatique peut réduire sa consommation (45% de la viande mondiale), mais pas les enfants africains anémiés. En janvier 2019, l’INRAE publiait un avis scientifique, assorti de nombreuses données chiffrées et d’analyses approfondies, intitulé « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ?
Consommation critique et vertueuse
Acheter de la viande de qualité, c’est aussi favoriser les exploitations respectueuses de l’animal, de la nature, ainsi que des producteurs. Enfin, on ne peut pas accuser un produit, quel qu’il soit, de tous les maux : c’est l’excès qui est préjudiciable. Nous avons le devoir absolu de préserver leur pérennité et leur bien-être. Il est tout à fait raisonnable de réfléchir à l’idée que nourrir les chasseurs-cueilleurs de supermarché ne requiert plus obligatoirement le même taux de protéines qu’à l’âge de pierre et qu’un régime viande-bière-téloche est davantage létal qu’un végétarisme frugivore.
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