Manger du porc : Interdiction biblique et évolutions

La question de l'interdiction de manger du porc est une interrogation fréquente, surtout face à des croyants d’autres confessions religieuses qui affirment qu’il est interdit de consommer certains aliments au nom de leur foi. Il est vrai que l’on trouve ce précepte dans le Deutéronome, soit le cinquième livre de l’Ancien Testament :

« Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair, et vous ne toucherez pas leurs corps morts. » (Deutéronome., XIV, 8).

Interdits alimentaires dans l'Ancien Testament

En lisant l’Ancien Testament, on constate qu’à la création, Dieu a dit à l’homme : “ Tout ce qui foisonne sur la terre est à votre disposition ; tout ce qui bouge et vit sera votre nourriture ” (Gn 9, 2-3). Mais aussitôt, on voit surgir les passages des interdits alimentaires, tels que Genèse 9, 4 où il est interdit de manger “ la viande avec son sang », car on croyait que l’âme résidait dans le sang (Lv 1, 34.39 ; 19, 26 ; 17, 11 ; Dt 12, 23). La graisse des animaux était aussi interdite (Lv 1, 22). Dans le Lévitique (11, 1-23) et son parallèle Deutéronome (14, 3-21), on défend de manger du chameau, du lièvre, du porc, de l’autruche et une longue série d’animaux aquatiques, d’oiseaux, de reptiles et d’autres bestioles ailées.

Pour les Juifs, cette interdiction est fondée sur deux passages de l'Ancien Testament :

  • Livre du Lévitique 11:7-8 « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair, et vous ne toucherez pas leurs corps morts : vous les regarderez comme impurs. »
  • Livre du Deutéronome 14:8 : « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur.

Les interdits alimentaires font partie des dispositions de l’alliance que Dieu a conclue avec Israël. Le Lévitique au ch.11, par exemple, stipule parmi toutes les règles par lesquelles le peuple hébreu se rend saint, différent des autres peuples, et se « met à part » pour servir Dieu, la liste des animaux purs ou impurs, propres ou impropres à la consommation (voir aussi Deutéronome ch.14). En donnant cette loi, Dieu ne cherchait pas à faire une carte de menu du jour, ou à donner des directives thérapeutiques de régime à suivre, mais à leur enseigner la sainteté. L’Acien Testament dit du porc qu’il est impur, et les Israélites ne devaient pas en manger. Il a été dit aux Juifs dans la Tawrat (La Thora) que le porc était un animal impur. Pourquoi ?

Évolution dans le Nouveau Testament

Toutefois, les chrétiens ne sont pas tenus par les préceptes alimentaires de l’Ancien Testament. Dans la « Nouvelle Alliance », plusieurs passages dictent les principes en vigueur. Dans le Nouveau Testament, on ne retrouve pas les interdictions alimentaires. Elles ont été radicalement annulées par Jésus-Christ qui déclara que " tous les aliments sont purs (Mc 7, 14-22).

Les évangiles apportent notamment un autre regard sur ce qui est pur et ce qui ne l’est pas : « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l'homme. » (Matthieu 15:11). Ou encore : « Il n'est rien d'extérieur à l'homme qui, pénétrant en lui, peut le souiller, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme. » (Marc 7:15).

Dans l’évangile selon Saint Luc 11 : 22 : « Jésus dit ensuite à ses disciples : C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni de votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie est plus que la nourriture. ».

Saint Paul abolit le respect des interdits alimentaires de l’Ancien Testament, de même pour les juifs nouvellement convertis au christianisme et pourtant toujours très attachés à ces préceptes, leur préférant une meilleure entente au sein de la communauté chrétienne (Romains 14, 1-23) », page 158.

Saint Paul conseille de « marcher selon l’Esprit », cela pour ne pas succomber aux « désirs de la chair » (page 451). Car « si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes point sous la Loi [de l’Ancien Testament] (5, 16-18). « Tout ce qui se vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience, car la terre est au Seigneur et tout ce qui la remplit » (10, 25-26) ; « tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n’est à proscrire, si on le prend avec action de grâces » (1 Timothée 4,4).

Après Jésus, les juifs continuaient à s’accrocher à leurs lois et coutumes concernant tous ces interdits, et faisaient de durs reproches aux premiers chrétiens convertis du judaïsme (Ac 15, 13-19 et 21, 20). Même chez les Apôtres, il y eut des réticences (Ac 10, 9-16 et 11, 1-18). Face à cela, Saint Paul déclara : « Que personne ne vous critique pour ce que vous mangez ou buvez…“Tout cela n’était que des ombres et la réalité, c’est le Christ… (Col 2, 16-17 ; 20-23). Dans sa première lettre à Timothée, Paul blâme ceux qui défendaient, entre autres choses, de manger certains aliments créés par Dieu, car « tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à rejeter si on le prend dans l’action de grâce » (1 Tm 4, 3-4). » Ce n’est pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu. Si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins, et si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus ».

Mais en Jésus-Christ, l’alliance s’étend à tous les hommes, et les règles et signes qui marquaient cette distinction entre juifs et non-juifs deviennent caduques. Jésus déclare que ce qui rend l’homme impur, c’est ce qui sort de son coeur ! (Marc 7,14-23).

Dans l'Ancien Testament, l'interdiction de manger du porc (Lévitique 11.7 ; Deutéronome 14.8), fait partie de la Loi mosaïque.

"Car tous ceux qui s'attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction ; car il est écrit : Maudit est quiconque n'observe pas tout ce qui est écrit dans le livre de la loi, et ne le met pas en pratique. Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident, puisqu'il est dit : Le juste vivra par la foi. Or, la loi ne procède pas de la foi ; mais elle dit : Celui qui mettra ces choses en pratique vivra par elles.

L'interdiction dans l'Islam

« Les musulmans ne mangent pas de porc parce que le Coran l’interdit à cinq reprises», explique Önder Günes, porte-parole de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS). Le verset 173 de la sourate 2 est particulièrement clair à ce sujet: « Certes, il vous est interdit la chair d’une bête morte, le sang, la viande de porc et ce sur quoi on a invoqué un autre qu’Allah ».

Pour les Musulmans l’interdit de manger du porc est selon Malek Chebel le plus massif et le plus ancien. « Les animaux morts, le sang, la chair du porc, tout ce qui a été tué sous l’invocation d’un autre nom que celui d ‘Allah, les animaux suffoqués, assommés, tués par quelque chute ou d’un coup de corne ; ceux qui ont été entamés par une bête féroce, à moins que vous ne les ayez purifiés par une saignée ; ce qui a été immolé aux autels des idoles ; tout cela vous est défendu. (…)» (Sourate 5 La table servie (Al-Maidah), verset 3).

Cependant un autre verset (XVI, 115) introduit une exception à cet interdit : « Il vous a été interdit la bête morte, le sang, la chair du porc et tout ce qui a été immolé à un autre Dieu qu’Allah.

Origines et raisons possibles de l'interdiction

Pendant longtemps, on a cru que les religions avaient interdit la consommation du cochon pour une raison sanitaire. Sa viande se conserve mal dans la chaleur et surtout, elle peut donner des parasites et des maladies lorsqu’elle est mal cuite. Mais en réalité, on n’en savait pas grand-chose dans l’Antiquité. "On a l’interdit qui est dans les textes juifs", explique Youri Volokhine, égyptologue, "tu ne mangeras pas de porc parce que… puis d’autres animaux à côté, les explications ne sont pas très claires, donc finalement, on ne sait pas pourquoi. Dans l’islam, c’est pareil, on ne mange pas de cochon parce que c’est interdit point final."

Les archéologues ont des hypothèses et une des hypothèses, c’est qu’à un certain moment, un certain groupe de population décide de se distinguer des autres et adopte des lois qui vont le différencier de tous les autres. Et parmi ces règles, puisque les autres mangent du cochon, eh bien nous, on n’en mange pas." La mauvaise réputation du cochon est en fait antérieure à l’islam et au judaïsme. Elle remonte à l’Égypte ancienne, il y a 4 000 ans. Les Égyptiens ont construit un discours mythologique autour des animaux. Et dans leur mythologie, le cochon a plutôt une mauvaise image. L’animal, réputé vorace et agressif, aurait mangé l'œil du dieu Horus, ce qui lui aurait valu une ostracisation du monde des temples et des rituels. Mais contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les Égyptiens mangeaient bel et bien du cochon. "D’ailleurs, c’est intéressant parce qu’on a un discours qui est mis sur une difficulté faite sur ce que mange le porc", rappelle Youri Volokhine, "on considère que le porc mange des choses suspectes."

Les humains ont commencé à élever et à manger du porc il y a environ 9 000 ans. Pour les premières communautés sédentarisées, cette viande est une source de protéines facile d’accès. Le cochon produit beaucoup de graisse, sa viande peut se conserver et surtout, les cochons ont un cycle de croissance et de reproduction très rapide.

Il peut recycler des ordures domestiques, rappelle l'archéologue Max Price, auteur de Evolution of a Taboo: Pigs and People in the Ancient Near East (Oxford University Press, 2023), il y a des textes de la période de l’ancienne Babylone autour du début du II millénaire avant J.-C., qui associent les cochons aux latrines et égouts."

Une explication économique voudrait que les sociétés de l’âge de bronze aient tout simplement privilégié d’autres animaux, comme le bœuf ou le mouton. Justement, ces deux animaux produisent du cuir ou de la laine en plus de leur viande, ce qui permet des échanges, favorise le commerce et donc l’expansion. Le cochon, lui, aurait été relégué aux catégories les plus pauvres de la population et finalement frappé d’une interdiction religieuse.

À un certain moment, des villages israélites auraient décrété qu’ils ne mangeraient plus de porc, pour se démarquer de leurs voisins philistins, mais aussi pour s’affirmer en tant que peuple, avec une identité et des habitudes alimentaires communes. Dans les sites philistins, ils ont retrouvé beaucoup d’os de porc. Au contraire, les sites israélites de la même période et distants parfois de seulement quelques kilomètres n’en comportent quasiment pas. Pour Max Price, "cela suggère, qu’il y a là un changement de regard sur le porc, qu’il y a un choix conscient, ou au moins certaines différences culturelles qui existent entre ces deux peuples très proches géographiquement. Mais ils choisissent de manger une nourriture très différente. Et l’un de ces peuples finit par transcrire ce tabou dans un livre religieux." S’agissait-il à l’origine d’un tabou formel ou juste d’une préférence affichée, nous n’avons pas la réponse. L’interdiction de manger du porc est en tout cas écrite explicitement plus tard dans le Lévitique, l’un des livres de la Torah, rédigé entre le 8ᵉ et 7ᵉ siècle avant J.-C. Ce tabou du cochon sera repris par les musulmans et inscrit dans le Coran.

Le sens et l’application de ce tabou a en réalité beaucoup varié, selon les époques et les contextes. Par exemple, Philon d’Alexandrie, un philosophe juif du 1ᵉʳ siècle de notre ère, affirmait que les Juifs ne mangeaient pas de porc car leur viande était trop riche et succulente, et que les juifs devaient s’en priver pour se rapprocher de Dieu. Aux États-Unis aujourd’hui, une majorité des Américains de confession juive mangent du porc.

Le porc au Moyen Âge

Alors que l’animal était considéré par l’Église comme l’incarnation de l’un des attributs de Satan, pourquoi au Moyen Âge, le cochon occupait-il une place essentielle dans la consommation de viande ?

Pourtant, dans un passage de l'Évangile, il est écrit ceci : "Lorsque Jésus fut descendu à terre, un homme de la ville vint à sa rencontre ; il avait des démons depuis assez longtemps. Jésus ordonna aux démons de sortir de cet homme et d’entrer dans un troupeau de porcs qui paissaient dans la montagne toute proche ; ce qu’ils firent. Tandis que le possédé retrouvait ses esprits et se mettait à prier, les porcs, au nombre d’environ deux mille, se précipitèrent du haut de la montagne dans le lac de Tibériade".

Ce passage de la Bible a beaucoup frappé les hommes du Moyen Âge. Pendant des siècles, il a été repris et commenté par les prédicateurs et les théologiens, contribuant ainsi à faire du porc l’un des attributs de Satan. Cette vision négative fut confortée par l'iconographie et les décors sculptés des églises. Le porc incarna alors l'image stéréotypée du péché ou des hommes pécheurs, se conduisant comme des pourceaux.

Pourtant, au Moyen Âge, le cochon occupait une place essentielle dans la consommation de viande. À cette époque, en effet, très peu de paysans élevaient des bovins pour la nourriture, car on les utilisait surtout pour les labours et la fumure des champs. Le porc était apprécié, car il était facile à nourrir. Mais cet avantage était aussi la cause des tabous concernant un animal qui n'hésitait pas à absorber des charognes, voire des excréments mélangés à du son. La sale réputation du cochon était aggravée par les troubles qu'il provoquait dans son environnement.

Malgré toutes ces références négatives, la consommation du porc n'a jamais été interdite par l'Église, car elle repose sur une doctrine et des pratiques caractérisées par le refus de tout interdit alimentaire absolu. La consommation du porc est même devenue, au fil du temps, une dimension importante de l’identité chrétienne par opposition aux autres religions.

À l’époque moderne, lorsque les chrétiens d’origine juive ou musulmane furent soupçonnés d'être restés secrètement fidèles à leur religion antérieure, l’Inquisition fit même de l'interdit concernant la consommation du porc un critère pour repérer les déviances.

Enfin selon Yahia Deffous, les autorités religieuses auraient rendu licite la consommation du porc environ deux siècles plus tard (cf. Les interdits alimentaires dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, page 89). Dès lors l’élevage du porc au sein des civilisations chrétiennes n’a fait que croître. Certains religieux auraient eu une contribution décisive dans la réhabilitation du porc, notamment Saint Antoine au IIIème siècle (cf.Les interdits alimentaires dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, page 92).

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