La question de savoir pourquoi les chrétiens mangent du porc est souvent posée, surtout en comparaison avec d'autres confessions religieuses qui interdisent sa consommation.
Interdits alimentaires dans l'Ancien Testament
Dans l’Ancien Testament, notamment dans les livres du Lévitique et du Deutéronome, on trouve des interdits alimentaires. L'interdiction de manger du porc remonte à l'Ancien Testament, notamment dans les livres du Lévitique et du Deutéronome. Cette prescription, antérieure à l’islam et au judaïsme rabbinique, avait probablement des raisons sanitaires ou visait à distinguer le peuple élu des autres nations.
Dans le Lévitique (11, 1-23) et son parallèle Deutéronome (14, 3-21), on défend de manger du chameau, du lièvre, du porc, de l’autruche et une longue série d’animaux aquatiques, d’oiseaux, de reptiles et d’autres bestioles ailées. Il a été dit aux Juifs dans la Tawrat (La Thora) que le porc était un animal impur.
« Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair, et vous ne toucherez pas leurs corps morts. » (Deutéronome., XIV, 8).
Ces interdits alimentaires faisaient partie des dispositions de l’alliance que Dieu a conclue avec Israël. Le Lévitique au ch.11, par exemple, stipule parmi toutes les règles par lesquelles le peuple hébreu se rend saint, différent des autres peuples, et se « met à part » pour servir Dieu, la liste des animaux purs ou impurs, propres ou impropres à la consommation (voir aussi Deutéronome ch.14).
En donnant cette loi, Dieu ne cherchait pas à faire une carte de menu du jour, ou à donner des directives thérapeutiques de régime à suivre, mais à leur enseigner la sainteté.
Il est fondamental de noter que le porc avait une mauvaise réputation dans l’Égypte ancienne, associé à des mythes négatifs. Cette perception a pu influencer les interdits alimentaires dans la région.
La vision de Jésus-Christ et le Nouveau Testament
Dans le Nouveau Testament, on ne retrouve pas les interdictions alimentaires. Les chrétiens ne sont pas tenus par les préceptes alimentaires de l’Ancien Testament. Elles ont été radicalement annulées par Jésus-Christ qui déclara que ” tous les aliments sont purs (Mc 7, 14-22).
En effet, Jésus nous invite à nous concentrer sur la pureté du cœur plutôt que sur des interdits alimentaires. Jésus déclare que ce qui rend l’homme impur, c’est ce qui sort de son coeur ! (Marc 7,14-23).
Un jour, il interpellait ses disciples en disant : « Êtes-vous donc sans intelligence, vous aussi ? ».
Les évangiles apportent notamment un autre regard sur ce qui est pur et ce qui ne l’est pas : « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l'homme. » (Matthieu 15:11). Ou encore : « Il n'est rien d'extérieur à l'homme qui, pénétrant en lui, peut le souiller, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme. » (Marc 7:15).
Dans l’évangile selon Saint Luc 11 : 22 : « Jésus dit ensuite à ses disciples : C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni de votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie est plus que la nourriture. ».
Mais en Jésus-Christ, l’alliance s’étend à tous les hommes, et les règles et signes qui marquaient cette distinction entre juifs et non-juifs deviennent caduques.
Le Nouveau Testament, en particulier les écrits de Saint Paul, affirme que nous, chrétiens, ne sommes plus sous la Loi mosaïque et ses prescriptions cérémonielles. Il est crucial de comprendre que l’interdiction du porc dans l’Ancien Testament faisait partie des lois cérémonielles, distinctes des lois morales comme les Dix Commandements.
Même chez les Apôtres, il y eut des réticences (Ac 10, 9-16 et 11, 1-18). Face à cela, Saint Paul déclara : « Que personne ne vous critique pour ce que vous mangez ou buvez…“Tout cela n’était que des ombres et la réalité, c’est le Christ… (Col 2, 16-17 ; 20-23).
Dans sa première lettre à Timothée, Paul blâme ceux qui défendaient, entre autres choses, de manger certains aliments créés par Dieu, car « tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à rejeter si on le prend dans l’action de grâce » (1 Tm 4, 3-4). » Ce n’est pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu. Si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins, et si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus ».
« Tout ce qui se vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience, car la terre est au Seigneur et tout ce qui la remplit » (10, 25-26) ; « tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n’est à proscrire, si on le prend avec action de grâces » (1 Timothée 4,4).
Toutefois, Jésus a enseigné que la vraie sainteté aux yeux de Dieu va bien au-delà du contenu de son assiette, qu’elle concerne les desseins secrets de nos cœurs, et non ce qu’on mange ou ne mange pas.
La bible précise bien que « le royaume de Dieu, ce n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit » (Romains 14:17).
Dans l'Ancien Testament, l'interdiction de manger du porc (Lévitique 11.7 ; Deutéronome 14.8), fait partie de la Loi mosaïque.
Évolution historique et culturelle
L’histoire de la consommation du porc dans le christianisme est passionnante. Elle reflète l’évolution de notre compréhension théologique et de nos pratiques religieuses au fil des siècles.
Des fouilles archéologiques ont montré une différence notable de consommation de porc entre Israélites et Philistins vers 1200 av. J.-C. Il est intéressant de constater que l’élevage et la consommation de porc remontent à environ 9000 ans et étaient largement répandus dans l’Antiquité.
Chronologie de la consommation du porc
Période | Événement |
---|---|
9000 ans av. J.-C. | Début de l'élevage et de la consommation de porc. |
1200 av. J.-C. | Différence notable de consommation de porc entre Israélites et Philistins. |
Ier siècle ap. J.-C. | Philon d’Alexandrie affirmait que les Juifs ne mangeaient pas de porc car leur viande était trop riche et succulente. |
IVe siècle ap. J.-C. | Certains religieux auraient eu une contribution décisive dans la réhabilitation du porc, notamment Saint Antoine au IIIème siècle. |
En outre, les premiers chrétiens d’origine juive ne mangeaient pas de porc et ils observaient plus largement de nombreuses restrictions quant à la viande en général, contenues également dans le Lévitique, le troisième livre de l’Ancien Testament.
Selon Yahia Deffous, les autorités religieuses auraient rendu licite la consommation du porc environ deux siècles plus tard (cf. Les interdits alimentaires dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, page 89). Dès lors l’élevage du porc au sein des civilisations chrétiennes n’a fait que croître.
Comme le dit André Costes dans son article Le pur et l'impur, réduire ces pratiques alimentaires à des questions d'utilité n'est pas pertinent, « c'est le sens de ce choix (entre ce qui est pur est impur) et non son résultat (le rejet de la viande de porc, par exemple) qu'il faut essayer de comprendre »[15]. De fait, il est intéressant de se demander pourquoi le porc est consommé par les chrétiens mais ne l'est pas par les populations juives et musulmanes.
Il semble que la consommation de porc par les chrétiens, hors influence des cultures germaniques, ait avant tout eu pour but de se différencier des Juifs et des musulmans.
En effet, si, aux débuts de la chrétienté, les croyants étaient autorisés à manger de tout et donc également à éviter certains aliments afin de ne pas effrayer certains juifs ou de ne pas repousser les gentils intéressés par la conversion, c'est d'ailleurs le sens de la vision de Pierre évoquée plus haut, sens qui lui apparaîtra clairement lors de sa rencontre avec le centurion Corneille. L'alimentation étant alors le moyen de se rapprocher culturellement, par la suite elle deviendra le marqueur d'une différence.
Cela est visible notamment à partir des VIIe et VIIIe siècles, avec les invasions arabes dans les provinces chrétiennes, particulièrement en Espagne. Les évêques, contre la volonté du pape, qui souhaitaient continuer à suivre les injonctions apostoliques, encouragent alors dans les régions concernées la consommation de porc, ainsi que du vin, les musulmans ne pouvant pas boire d'alcool, afin de creuser les différences entre les deux religions (chrétiennes et musulmanes) et éviter l'absorption des chrétiens par la communauté musulmane.
Le porc au Moyen Âge
Malgré toutes ces références négatives, la consommation du porc n'a jamais été interdite par l'Église, car elle repose sur une doctrine et des pratiques caractérisées par le refus de tout interdit alimentaire absolu. La consommation du porc est même devenue, au fil du temps, une dimension importante de l’identité chrétienne par opposition aux autres religions.
Au Moyen Âge, le cochon occupait une place essentielle dans la consommation de viande. À cette époque, en effet, très peu de paysans élevaient des bovins pour la nourriture, car on les utilisait surtout pour les labours et la fumure des champs.
Le porc était apprécié, car il était facile à nourrir. Mais cet avantage était aussi la cause des tabous concernant un animal qui n'hésitait pas à absorber des charognes, voire des excréments mélangés à du son.
La sale réputation du cochon était aggravée par les troubles qu'il provoquait dans son environnement. Les paysans se plaignaient des dégâts qu'il causait dans les forêts, en cherchant des faines sous les hêtres ou des glands sous les chênes.
En ville, les porcs répandaient dans les rues les ordures qu'ils n'avaient pas pu avaler, allant même jusqu'à perturber les cimetières.
L'historien Michel Pastoureau raconte qu'au début du 13e siècle, Philippe Auguste dût construire un mur suffisamment haut, autour du cimetière des Innocents à Paris, pour empêcher les porcs d’aller y déterrer les cadavres.
Ces animaux étaient aussi la cause de nombreux accidents. En 1131, un cochon vagabond heurta le cheval du prince Philippe, le fils aîné du roi de France Louis VI le Gros. Philippe décéda à la suite de ses blessures. Pour éviter la répétition de ces événements tragiques, dès la fin du 12e siècle, toutes les villes d’Europe prirent des mesures pour limiter, ou pour interdire, la circulation des porcs dans les rues.
Variations au sein du christianisme
En tant que spécialiste de la religion catholique, je me dois de souligner que la consommation de porc n’est pas uniforme dans toutes les branches du christianisme. Certaines branches du christianisme, notamment parmi les églises orthodoxes, peuvent toutefois avoir des pratiques et des traditions alimentaires spécifiques.
En effet, la consommation de porc chez les chrétiens s’inscrit dans une longue histoire théologique et culturelle. Elle reflète notre compréhension de la Nouvelle Alliance et de l’enseignement du Christ sur la pureté spirituelle.
Se conduire comme un pourceau signifie se comporter en pêcheur. Alors que l’animal était considéré par l’Église comme l’incarnation de l’un des attributs de Satan, pourquoi au Moyen Âge, le cochon occupait-il une place essentielle dans la consommation de viande ?
À l’époque moderne, lorsque les chrétiens d’origine juive ou musulmane furent soupçonnés d'être restés secrètement fidèles à leur religion antérieure, l’Inquisition fit même de l'interdit concernant la consommation du porc un critère pour repérer les déviances.
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