Manger comme un porc: Origine et Signification d'une Expression Péjorative

L’expression “manger comme un porc” reflète un comportement qui suscite le dégoût. Pourquoi comparer à un cochon une personne qui mange salement ou de façon gloutonne ? Le suidé s’en met-il partout au moment des repas ? Se goinfre-t-il de nourriture? Et pour quelles raisons les locutions utilisant les mots “porc” ou “cochon” revêtent-elles quasiment toujours une connotation péjorative ? Le mammifère serait-il victime de préjugés ?

Manger gloutonnement, avec avidité ; se goinfrer ; dévorer. La genèse de l’expression “manger comme un porc” reste inconnue à ce jour. Les plus anciennes occurrences trouvées dans la littérature française datent toutes du XXe siècle ce qui laisse supposer une origine récente de la formule.

Exemples de l'utilisation de cette expression:

  • «Mais je vais manger comme un porc, ici ? -Profitez-en, mon vieux ; c'est l'occasion de vous retaper un peu en attendant la liberté.» (Jean Bocognano, Quartier des fauves).
  • «Lui, il est gros comme un hippopotame et mange comme un porc.»
  • «Ils bouffaient… mais comme des porcs, c'était épouvantable. Pas la moindre dignité, pas la moindre retenue.» (Dimitri Davidenko, Chouf !)

Le Comportement du Cochon: Mythes et Réalités

Le cochon ne disposant ni d’assiettes ni de couverts, il prend ses repas avec les moyens du bord ! C'est-à-dire avec ses pattes et son groin dont il se sert pour fouiller le sol et trouver sa pitance. De fait, il se barbouille la face de terre et se salit. Cette espèce fouisseuse, curieuse de nature, possède un odorat très développé mais une vision peu acérée.

Il est vrai que l’ongulé a la fâcheuse habitude de se vautrer dans la boue, conférant à sa jolie peau rose une couleur maronnasse peu ragoutante. Contrairement aux idées reçues, le suidé n’est pas animé par l’envie de se souiller, c’est même tout l’inverse. Il se roule dans la gadoue afin de se protéger des parasites et ses rayons du soleil. Et comme cette espèce animale ne transpire pas, elle profite d’un bain de boue pour faire descendre sa température corporelle. Il n’y a donc rien de sale dans son comportement. D’autre part, le mammifère aime vivre dans un lieu propre. Dès ses premiers jours, le porcelet dort et fait ses besoins dans des endroits bien distincts. Avant de s’allonger quelque part, le cochon inspecte l’état de propreté de la couche et ne s’y installe pas si elle est souillée.

La gourmandise du porc, pour ne pas dire sa gloutonnerie, ne relève pas d’un mythe. Se nourrir représente son sport préféré ; une activité qu’il pratique beaucoup et vite ! Il est illusoire de penser que le suidé s’arrête de manger à satiété car tant qu’il a de la nourriture à disposition, il va s’en bâfrer. Que l’aliment soit gras, sucré ou salé (vivement déconseillé), il sera avalé et aimé. Mais prudence, le cochon de ferme ou de compagnie prend facilement du poids et sa goinfrerie peut conduire à des problèmes de santé, tels que l’obésité et les conséquences qui en découlent (cécité, arthrose…). Pour le garder le plus longtemps possible en pleine forme, il faut veiller à ne pas céder à son insatiabilité.

Le Porc à Travers l'Histoire et les Religions

Remontant à la nuit des temps, l’image négative du porc se rencontre déjà dans les Écritures. L’Ancien Testament laisse en effet entendre que le cochon est un animal impur car il se nourrit d’immondices et se vautre dans la fange. La place du suidé dans le Nouveau Testament n’est guère plus valorisante, en témoigne la parabole du fils prodigue contraint de devenir gardien de cochons après avoir dilapidé tout son bien. Le porc est proscrit par des religions pour des préjugés le plus souvent liés à des questions d’hygiène.

Sous la chrétienté médiévale, le porc est perçu comme un attribut du diable qui grogne et se roule dans l’ordure. Il représente le démon de la gourmandise, de la volupté et des plaisirs immondes. En sus de la saleté et de la goinfrerie, le mot “porc“ ou ”cochon” est associé à d’autres défauts ou vices.

Le Porc dans le Langage Courant

Comme pour la nourriture, le cochon s’agrémente à toutes les sauces dans la langue française : on peut ainsi avoir un nez ou des yeux de cochon, manger comme un cochon, écrire comme un cochon, être gras ou saoul comme un cochon, être bête comme trente-six cochons. On peut encore avoir une tête ou un caractère de cochon, il arrive que les Parisiens jouissent plus qu’à leur tour d’un temps de cochon, mais on peut aussi être copains comme cochons, ce qui est à peu près la seule expression dans laquelle la comparaison n’est pas injurieuse - et encore ! Il semblerait que cette expression vienne d’une déformation de l’ancien français “soçon”, dérivé du latin socius, qui signifie camarade, compagnon. C’est à ce prix que le cochon est épargné.

Les Préjugés Tenaces

La mauvaise réputation du cochon remonte au Moyen Âge, où l'animal est symboliquement associé à l'ordure et à la goinfrerie. Il faut attendre le 16e siècle pour qu'il endosse le vice de la luxure. Aujourd'hui encore, les traces de ces préjugés tenaces se retrouvent dans nos expressions courantes..."Tu manges comme un porc !", "Non, mais on n’est pas dans une porcherie !", "Il est bête et têtu comme un cochon !" et "Arrête tes cochonneries !". Ces expressions en disent long sur le regard que nous portons sur le porc : l’animal serait sale, vorace, stupide et surtout lubrique.

Le hashtag #BalanceTonPorc, version française de #MeToo, lui a porté le coup de grâce en 2017. Le porc serait-il l’animal le plus méprisé ? "Si le mouvement qui se range derrière la bannière #BalanceTonPorc est parfaitement légitime, nécessaire même, le slogan lui-même est mal choisi", explique l’historien Michel Pastoureau. "Le porc n’est pas spécialement luxurieux, le mâle n’agresse pas les femelles et il ne les harcèle pas."

Aux Sources du Préjugé: Une Mauvaise Vue et une Alimentation Omnivore

Force est de constater que, depuis le Moyen Âge, le porc a mauvaise réputation. Il est associé à l’ordure et à la goinfrerie. Il est considéré sale, probablement parce qu’avant d’être rose, sa peau était souvent sombre et tachetée. Ce n'est qu'au 18e siècle qu'il devient rose et clair.

Par ailleurs, le porc a du mal à transpirer : il recherche donc en permanence des endroits humides comme la boue pour se rafraîchir et, n’ayant pas une très bonne vue, il a tendance à marcher n’importe où, même dans ses propres excréments. Or au Moyen Âge, la vue est justement le plus valorisé des cinq sens. Le porc passe donc pour une créature brute et stupide, guidée uniquement par l’odorat et par le goût, deux sens considérés comme grossiers.

Quant à la goinfrerie, elle s’explique par le caractère omnivore du cochon, sa capacité à dévorer à peu près n’importe quoi, y compris des charognes.

Avant le Porc, le Chien Était le Symbole de la Lubricité

Si le cochon est mal vu depuis longtemps, il n’est jamais associé à la lubricité, du moins pas avant le 16e siècle. En effet, depuis l’Antiquité, c’est surtout le chien dont le comportement sexuel est considéré comme répugnant et impur. Il faut attendre les 16e et 17e siècles pour que le porc endosse ce vice qu’est la luxure. Entretemps, en Occident, le chien est devenu le meilleur ami de l’homme, le gardien du foyer, le partenaire de chasse et l’animal de compagnie de ces dames.

Il n'est donc plus question d’associer le chien à la sexualité. Il faut le débarrasser à tout prix de sa mauvaise réputation et c’est le porc qui en fait les frais. On assiste donc à un transfert symbolique du chien vers le cochon. Dès lors, tous les hommes se livrant à des pratiques obscènes, tenant des propos salaces ou harcelant des femmes, sont qualifiés de "porcs" ou de "cochons" et certains se mettent à faire ce qu’on appelle des "cochonneries".

De plus, comme les croyances associent souvent la bêtise à la sexualité, le cochon est chez nous aussi considéré comme borné. Ce qui est là encore parfaitement injuste, car le porc est loin d’être bête. Des enquêtes sur l’intelligence animale soulignent même la grande mémoire du cochon, qui partage presqu’autant de patrimoine génétique avec l’homme que notre cousin le chimpanzé. Cette parenté biologique serait d’ailleurs à l’origine de l’interdit alimentaire chez les juifs et les musulmans : manger du porc, serait, en quelque sorte, être anthropophage, ce que confirment les survivants des grandes catastrophes contraints de manger de la chair humaine : l’humain aurait un goût de cochon !

Cousin, si proche et mal aimé… copain, comme cochon !

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