La Normandie a souvent servi de décor aux récits de Guy de Maupassant. La nouvelle « Mademoiselle Cocotte » (1883) narre la noyade de la chienne Cocotte.
L'histoire de Cocotte
Dans la banlieue de Paris vivait une famille de bourgeois riches. Ils habitaient une villa au milieu d’un parc, au bord de la Seine. Comme il rentrait un soir chez ses maîtres, un chien se mit à le suivre. Il n’y prit point garde d’abord ; mais l’obstination de la bête à marcher sur ses talons le fit bientôt se retourner. Il regarda s’il connaissait ce chien. C’était une chienne d’une maigreur affreuse avec de grandes mamelles pendantes. Il voulait chasser ce squelette de bête et cria : « Va-t’en. Veux-tu bien te sauver ! - Hou ! Il fit semblant de ramasser des pierres. Alors le cocher François, pris de pitié, l’appela. La chienne s’approcha timidement, l’échine pliée en cercle, et toutes les côtes soulevant la peau. L’homme caressa ces os saillants, et, tout ému par cette misère de bête : « Allons, viens ! » dit-il. Il l’installa sur la paille dans son écurie ; puis il courut à la cuisine chercher du pain. Le lendemain, les maîtres, avertis par leur cocher, permirent qu’il gardât l’animal.
Cependant François adorait Cocotte. Il l’avait nommée Cocotte, sans malice, bien qu’elle méritât son nom ; et il répétait sans cesse : « Cette bête-là, c’est une personne.
Les problèmes causés par Cocotte
Mais, bientôt, on lui reconnut un défaut terrible. Elle était enflammée d’amour d’un bout à l’autre de l’année. Elle eut fait, en quelque temps, la connaissance de tous les chiens de la contrée qui se mirent à rôder autour d’elle jour et nuit. Elle leur partageait ses faveurs avec une indifférence de fille, semblait au mieux avec tous, traînait derrière elle une vraie meute composée des modèles les plus différents de la race aboyante, les uns gros comme le poing, les autres grands comme des ânes. Les gens du pays la considéraient comme un phénomène ; jamais on n’avait vu pareille chose. Quand elle était rentrée, le soir, en son écurie, la foule des chiens faisait le siège de la propriété. Ils se faufilaient par toutes les issues de la haie vive qui clôturait le parc, dévastaient les plates-bandes, arrachaient les fleurs, creusaient des trous dans les corbeilles, exaspérant le jardinier. Dans le jour, ils pénétraient jusque dans la maison. C’était une invasion, une plaie, un désastre.
Elle était devenue énorme. Autant elle avait été maigre, autant elle était obèse, avec un ventre gonflé sous lequel pendillaient toujours ses longues mamelles ballottantes. Elle se montrait d’ailleurs d’une fécondité phénoménale, toujours pleine presque aussitôt que délivrée, donnant le jour quatre fois l’an à un chapelet de petits animaux appartenant à toutes les variétés de la race canine. Mais bientôt la cuisinière joignit ses plaintes à celles du jardinier. Le maître, impatienté, ordonna à François de se débarrasser de Cocotte. L’homme, désolé, chercha à la placer. Personne n’en voulut. Il fallait prendre un grand parti. On la livra, moyennant cinq francs, à un chef de train allant au Havre. Mais les chiens revinrent bientôt plus nombreux et plus acharnés que jamais.
Le destin tragique de Cocotte
L’homme fut atterré, et il remonta dans sa chambre pour faire sa malle, préférant quitter sa place. Il dormit mal, cependant. Dès l’aube, il fut debout et, s’emparant d’une forte corde, il alla chercher la chienne. Mais une horloge voisine sonna six heures. Il ne fallait plus hésiter. Il ouvrit la porte : « Viens », dit-il. Ils gagnèrent la berge, et il choisit une place où l’eau semblait profonde. Alors il noua un bout de la corde au beau collier de cuir, et ramassant une grosse pierre, il l’attacha de l’autre bout. Puis il saisit Cocotte dans ses bras et la baisa furieusement comme une personne qu’on va quitter. Mais brusquement il se décida, et de toute sa force il la lança le plus loin possible. Elle essaya d’abord de nager, comme elle faisait lorsqu’on la baignait, mais sa tête, entraînée par la pierre, plongeait coup sur coup ; et elle jetait à son maître des regards éperdus, des regards humains, en se débattant comme une personne qui se noie.
Il faillit devenir idiot ; il fut malade pendant un mois ; et, chaque nuit, il rêvait de sa chienne ; il la sentait qui léchait ses mains ; il l’entendait aboyer. Il fallut appeler un médecin. Le cocher François est très attaché à Cocotte, même si elle devient embarrassante pour ses maîtres lorsqu’elle met au monde une multitude de chiots envahissant la propriété parisienne.
La folie de François
Nous allions sortir de l’Asile quand j’aperçus dans un coin de la cour un grand homme maigre qui faisait obstinément le simulacre d’appeler un chien imaginaire. Il criait, d’une voix douce, d’une voix tendre : « Cocotte, ma petite Cocotte, viens ici, Cocotte, viens ici, ma belle », en tapant sur sa cuisse comme on fait pour attirer les bêtes. Je demandai au médecin : « Qu’est-ce que celui-là ? » Il me répondit : « Oh ! celui-là n’est pas intéressant. J’insistai : « Dites-moi donc son histoire.
Là encore il était au bord de la Seine. Il se mit à prendre des bains. - Regarde celle-là qui s’amène. - Cristi ! elle n’est pas fraîche. Quelle prise ! mon vieux. Puis, soudain, il se tut et il la regarda avec une attention singulière ; puis il s’approcha encore comme pour la toucher, cette fois. La chienne morte avait retrouvé son maître à soixante lieues de leur maison ! Il poussa un cri épouvantable et il se mit à nager de toute sa force vers la berge, en continuant à hurler ; et, dès qu’il eut atteint la terre, il se sauva éperdu, tout nu, par la campagne.
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