Émilienne d'Alençon: Splendeurs et Misères d'une Cocotte de la Belle Époque

Dans le Paris 1900, les demi-mondaines étaient surnommées « amazones », « scandaleuses », ou encore « horizontales ». Selon l’expression d’Alexandre Dumas fils, on les appelait aussi « cocottes », peut-être pour souligner leur goût pour les toilettes emplumées. Leur maxime ? « La fortune vient en dormant… à condition de ne pas dormir seule », comme le clame la Belle Otero.

Les Débuts d'une Carrière Éclatante

Née Émilie André, à Paris, le 18 juillet 1869, fille d’une concierge de la rue des Martyrs, la future Émilienne d’Alençon reçoit son pseudonyme de la prostituée Laure de Chiffreville, qui lui prédit une brillante carrière. Lancée par l’« intrépide vide-bouteilles » Charles Desteuque, chroniqueur du Gil Blas, Émilienne se produit comme dresseuse de lapins au Cirque d’Été et fréquente les lieux favoris du demi-monde parisien : le bois de Boulogne, Chez Maxim’s, les théâtres.

Ascension Sociale et Liaisons Notables

Entre 1889 et 1892, la jeune femme devient une célébrité grâce à sa liaison avec le jeune duc Jacques d’Uzès qui veille à son instruction dans le vain espoir de l’épouser ; envoyé au Congo par sa famille qui s’oppose fermement à cette mésalliance, le jeune duc meurt en 1893. Émilienne d’Alençon consolide sa renommée de grande cocotte en séduisant le roi des Belges Léopold II, le prince de Galles et futur roi Édouard VII, et le Kaiser Guillaume II, et en rivalisant avec la Belle Otero, Cléo de Mérode et Liane de Pougy.

La Photographie et la Notoriété Internationale

Si les chroniqueurs mondains influent considérablement sur la notoriété des « grandes horizontales », ce sont les photographes qui leur assurent un succès international. La diffusion des portraits photographiques, qui permet à des véritables artistes du spectacle, comme Sarah Bernhardt ou Réjane, de consolider leur renommée, est d’autant plus indispensable pour les demi-mondaines qui, à défaut d’un véritable talent, misent tout sur leur beauté.

Réalisée par l’atelier Reutlinger vers 1900, cette photographie montre la jeune femme dans le costume qu’elle porte sur la scène des Folies-Bergère dans La Belle et la Bête : Émilienne, racontent les chroniques, « fait semblant de jouer de la mandoline pour accompagner des couplets égrillards, qu’elle détaille d’une voix innocente ». Cette « innocence » est aussi la protagoniste de ce cliché, où « la Belle » penche la tête d’un air rêveur, les mains posées sur sa mandoline.

Si le costume d’Émilienne est assez simple, les bijoux qu’elle porte révèlent sa coquetterie ; quant au charme du modèle, il est parfaitement décrit par un chroniqueur : « Son nez insolemment camard, et pourtant adorable dans son effronterie, est chevauché par les plus beaux yeux du monde, des yeux clairs, malins, qui peuvent être rangés dans la catégorie des agents provocateurs […] Sa bouche, tordue de moues d’enfant gâté, ou retroussée par des sourires de sainte-nitouche, appelle irrésistiblement le baiser, comme la rose invite l’abeille et comme le Nord attire l’aimant.

Une Personnalité Complexe

Surnommée « gavroche féminin » en raison de son origine parisienne populaire et de la spontanéité de ses répliques, Émilienne d’Alençon se passionne pour la littérature et écrit elle-même des poèmes, recueillis sous le très significatif titre de Sous le masque (1918), qui révèlent une âme sensible et mélancolique ; néanmoins, la belle demi-mondaine n’abjure pas sa coquetterie et, en 1919, publie un recueil de recettes de beauté.

Le Déclin et la Fin Tragique

Mais la Belle Époque est finie, et le triste déclin d’Émilienne d’Alençon a déjà commencé : l’opium fait des ravages sur son corps et sur son esprit ; elle dépense une fortune pour ses maîtresses, puis semble avoir trouvé le bonheur en épousant un jockey anglais beaucoup plus jeune qu’elle, Percy Woodland, dont elle divorce pour un autre jockey britannique, Alec Carter, qui meurt pendant la Grande Guerre. Seule, malade et endettée, Émilienne finit ses jours à Nice.

Renée Vivien avait écrit pour elle ces vers prémonitoires : « Tu te flétriras un jour, ah, mon lys ! / Tes pas oublieront le rythme de l’onde, / ta chair sans désirs, tes membres perclus / ne frémiront plus dans l’ardeur profonde, / l’amour désenchanté ne te connaîtra plus.

Les Cocottes et le Monde du Spectacle

Avec près de 300 cafés-concerts et une quarantaine de théâtres, le Paris de la Belle Epoque regorge de lieux où les bourgeois viennent, au minimum, se rincer l’œil. Inscrits en grosses lettres sur des affiches colorées, les noms - et les images de leurs visages et de leurs corps - de la Belle Otero, Liane de Pougy, Cléo de Mérode ou encore Emilienne d’Alençon offrent la garantie de déplacer les foules. Du Casino de Paris à l’Olympia en passant par l’Alcazar, les cocottes se livrent une concurrence sans merci. En 1896, Emilienne d’Alençon menace de quitter une revue quand elle découvre que le nom de sa partenaire de scène est aussi grand que le sien sur les affiches !

Aux Folies Bergère, immense salle de spectacle de la rue Richer (dans le 9e arrondissement), les demi-mondaines s’essayent vers 1890 au music-hall, un genre nouveau venu de Londres, mélange de cirque, d’opérette, de ballet et de pantomime. C’est un triomphe ! « Aujourd’hui, la place prépondérante au concert est réservée aux horizontales de toutes marques… » fustige l’hebdomadaire L’Art lyrique.

Le Coût de l'Amour et le Train de Vie des Cocottes

Un hôtel particulier, une voiture, des rivières de diamants, des fourrures… Les cocottes monnaient chèrement leurs faveurs pour s’offrir un train de vie de grandes dames. Certaines tapent directement dans le haut du panier comme la Belle Otero, experte en conquêtes du gotha - ducs, princes, maharadjahs et rois. La voir nue et l’appeler « mon bébé rose » ? 80 000 francs à débourser pour le librettiste Henri Meilhac. L’addition du comte polonais Roman Potocki ? 5 000 francs… par jour !

Il faut au moins ça aux courtisanes pour parader en grande tenue - elles dépensent des sommes folles chez les couturiers - au bois de Boulogne ou au théâtre. C’est là que ces femmes, souvent de basse extraction, se font remarquer par leurs futurs amants. Qu’elles choisissent avec soin, puisque selon la vedette du théâtre des Variétés Emilienne d’Alençon : « Quand tu couches avec un bourgeois, tu es une putain. Quand tu couches avec un prince, tu es une favorite.

Les Cocottes, Stars de Leur Époque

La presse fait son miel de la moindre aventure des demi-mondaines : comme la fois où la Belle Otero a perdu son porte-monnaie sur le boulevard des Italiens, anecdote que narre Le Figaro du 22 mars 1900… Ou, versant plus tragique, dans Le Matin du 12 octobre 1906, le récit de l’accident de voiture qui a failli coûter la vie à Liane de Pougy. Les cocottes sont les people de l’époque !

Certaines dévoilent leur intimité dans les gazettes, telle Albany Debriège photographiée pour Les Reines de Paris chez elles (1898) sur son lit défait. Elles sont aussi les stars de publicités pour des biscuits (Cléo de Mérode pour Lefèvre-Utile), du champagne (Clémence de Pibrac pour Mumm) et s’improvisent même journalistes, comme Liane de Pougy, qui devient rédactrice en chef de l’hebdomadaire L’Art d’être jolie, ou la chanteuse Lina Cavalieri qui prodigue ses conseils beauté dans le mensuel Femina.

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