Si vous êtes amateur de musique caribéenne, ne manquez pas Jocelyne Béroard et Tony Chasseur. Ainsi, Jocelyne Béroard, 60 ans le 12 septembre prochain, deviendra la première ambassadrice caribéenne à obtenir le disque d’or, mais elle a surtout porté la richesse de son terroir partout dans le monde et pas en moins en terre ancestrale.
"Siwo": Une Chanson d'Amour Douce et Envoûtante
Et que voulait dire la chanson Siwo ? Aujourd'hui, cherchons ensemble. Siwo, sirop pour la traduction, parle d’un thème incontournable pour tout artiste, celui de l’amour. « Je veux d’un homme doux comme du sirop… Ma vie est désespérée, mais je ne suis pas compliquée, peu importe qu’il soit beau pourvu qu’il sache faire rire…. », pouvait-on entendre et comprendre.
La chanteuse Méryl rend hommage à « La vi dous kon siwo » (1986) de Jocelyn Beroard, figure féminine emblématique du groupe Kassav’, dans un remix inspiré par le rap étasunien des années 1980.
Kassav': Pionniers du Zouk et Ambassadeurs de la Culture Caribéenne
Kassav, groupe au nom qui signifie galette de manioc (cassave en créole), a propulsé le zouk dans cette période où l’on peut affirmer sans risque d’être contredit que les sons d’origines créoles ainsi que le groupe étaient au summum de leur gloire. Force de plusieurs rythmes des Antilles, kompa (musique traditionnelle d’Haïti), kadans, cadence-lypso, biguine et autres influences de cette partie des Caraïbes ont su donner au groupe Kassav une richesse culturelle dont ils ont été les principaux ambassadeurs dans le monde.
Kassav' (en référence à la cassave, une galette de manioc) est fondé en 1979 par des artistes guadeloupéens, Pierre-Édouard Decimus (du groupe Les Vikings de la Guadeloupe) et Freddy Marshall. Ils recrutent d’autres musiciens, dont Desvarieux, né en 1955 à Paris et qui, comme guitariste, revendique des influences rock, de Chuck Berry à Jimi Hendrix.
Le premier album de Kassav', Love and Ka dance, sort en 1979. 1980 marque la première apparition dans le groupe de celle qui en deviendra l’emblème : la chanteuse martiniquaise Jocelyne Béroard. Kassav' atteint le pic de sa popularité à la fin des années 1980. Encensé par le jazzman américain Miles Davis, le groupe enchaîne les concerts dans le monde entier. Et parallèlement aux nombreux albums de Kassav', ses membres sortent des disques solo.
Depuis, la mode du zouk est retombée, mais Kassav' a continué d’attirer un public nombreux en concert. Monument aux Antilles et star en métropole, le groupe est également très connu en Afrique. Le clip de Syé Bwa a d’ailleurs été tourné à Kinshasa (République démocratique du Congo, qui s’appelait encore Zaïre).
« L’Afrique s’est ouverte à nous avant même la France », indiquait Jocelyne Béroard en 2019 au magazine Jeune Afrique. « Ils ne comprenaient pas le créole, mais ils répétaient plus ou moins phonétiquement, ou ils créaient leurs propres versions », souriait-elle.
L'Héritage de Kassav' et le Zouk
Le guitariste guadeloupéen Jacob Desvarieux est décédé vendredi 30 juillet à Pointe-à-Pitre des suites du Covid-19. Il était l’un des fondateurs du groupe Kassav', monument aux Antilles, qui a connu un énorme succès dans les années 1980 en mélangeant des musiques locales pour créer un style, le zouk. « Jacob, grâce à ton art, tu as rapproché les Antilles de l’Afrique. Dakar où tu as vécu te pleure. Âgé de 65 ans, Jacob Desvarieux avait été hospitalisé le 12 juillet après avoir été contaminé par le coronavirus. De santé fragile depuis une greffe rénale, il avait été placé en coma artificiel, avait récemment indiqué la production du groupe Kassav' qui avait annulé tous les concerts prévus.
« Au départ, c’était un laboratoire : nous cherchions à trouver une bande-son qui fasse la synthèse de toutes les traditions et sons antérieurs, mais qui soit exportable partout », avait raconté le musicien au journal Libération en 2016. Un cocktail qui donnera naissance à des tubes festifs et dansants chantés en créole, comme « Zouk la sé sèl médikaman nou ni » (1984, sur un album que Desvarieux cosigne avec un autre fondateur de Kassav' mais qui ne sort pas sous le nom du groupe), ou « Syé bwa » (1987).
La création de Kassav' en 1979, puis son essor la décennie suivante s’inscrivent dans deux tendances de ces années-là. D’une part, la montée du sentiment identitaire et des mouvements régionalistes à la fin des années 1970. En Outre-mer, en Corse ou en Bretagne, cela amène nombre d’artistes locaux à se réapproprier leur culture et leur langue et à moderniser des musiques traditionnelles.
« À travers notre musique, nous interrogions nos origines. Qu’est-ce qu’on faisait là, nous qui étions noirs et parlions français ? » expliquait à Libération Jacob Desvarieux, la voix douce et voilée et les cheveux blanchis par les années. « Comme les Afro-Américains des États-Unis, nous cherchions des réponses pour reprendre le fil d’une histoire qui nous avait été confisquée », ajoutait-il.
Les Influences Musicales de Kassav'
La base du style du groupe est le gwo ka, musique guadeloupéenne marquée par les tambours. Il y ajoute d’autres ingrédients venus de toutes les Caraïbes - compas haïtien, biguine… - et un emballage moderne, avec de la basse, des cuivres et des claviers.
D’autre part, Kassav' explose en même temps que la « world music », les musiques du monde : au milieu des années 80, le public a soif de musiques lointaines et métissées. « Notre musique se devait d’être antillaise, c’est-à-dire reconnue par les Antillais, contrairement à ce qu’il se passait alors avec la world music : il s’agissait d’une musique anglo-saxonne avec un chanteur du tiers-monde, chantant parfois dans sa langue », nuançait toutefois Jacob Desvarieux.
Tous animés et motivés par une profonde affection pour chacun des membres du groupe (ceux qui nous ont quitté, Jacob Desvarieux et Patrick Saint-Eloi ; ceux qui sont encore parmi nous, Jocelyne Béroard, Jean-Phillipe Marthély, Jean-Claude Naimro, Georges Décimus). Le concert est piloté par les grands chefs d'orchestre Gilles Voyer et Tony Chasseur, dans le cadre idyllique de l'Appaloos'Arena au François.
Le Créole: Langue d'Émancipation et d'Expression Culturelle
Les Antilles françaises vivent encore en situation de diglossie : le français et le créole y sont dotés d’une fonction et d’un statut distincts. Il s’agit pour elles de désinsulariser la parole, tout en conservant son identité caribéenne.
Le créole est à la fois langue d’émancipation et de traverse, qui a conquis ses lettres de noblesse littéraires. Le rap antillais renoue avec la « parole de nuit », celle du conteur qui assemblait autrefois son auditoire sans souci de se soumettre au bon usage de la langue et l’entraîne dans ses virtuosités langagières, son flow. Le créole du rap, c’est une langue libérée des contraintes, une langue « mosaïque » qui accueille et fait fusionner d’autres langues. Ainsi les figures féminines sont-elles d’excellentes passeuses de la langue vernaculaire, véhiculaire et maternelle qu’est le créole.
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