Colorant alimentaire : la tartrazine et son utilisation pour rendre la peau transparente

C’est de l’ordre de la fiction. Qui aurait pu imaginer qu’un simple ingrédient pourrait révolutionner la biologie ? Les chercheurs de l’université de Stanford ont découvert qu’un colorant alimentaire, la tartrazine, avait comme vertu de rendre les tissus musculaires des souris complètement transparents.

La tartrazine est un colorant jaune orangé et peut se trouver dans des bonbons, des glaces, ou des chips. Aussi connu sous le nom de jaune 5 aux États-Unis ou E102 en Europe, ce colorant permet d'apporter une teinte orangée aux sodas ou aux snacks, indique Popular Science. L’application de la tartrazine (E102), un colorant alimentaire jaune, utilisé notamment dans les M&M’s jaunes ou les Doritos, a révélé leurs vaisseaux sanguins, leurs fibres musculaires ou encore leurs contractions musculaires, rapportent The Washington Post et Courrier International.

L'expérience de Stanford

Des chercheurs de l’université de Stanford en Californie en ont badigeonné le ventre, les cuisses et le crâne de souris vivantes, ce qui a rendu ces zones partiellement transparentes en quelques minutes, laissant apparaître les organes situés juste sous la peau. Ces scientifiques ont ainsi, par exemple, pu observer à l'œil nu ou via des microscopes, le foie, la vessie, les organes digestifs en plein travail. Des vaisseaux sanguins qui alimentent le cerveau, ou encore les fibres de muscles en train de se contracter. Ces expériences ont été décrites, vendredi 6 septembre, dans la très sérieuse revue Science.

Dans une étude parue dans Science, ils expliquent avoir dilué du colorant dans de l'eau avant de l'appliquer sur le crâne et l'abdomen des souris. Le colorant s'est alors rapidement diffusé dans la peau des animaux. Ce qui a permis de rendre ces endroits transparents.

Comment cela est possible ?

Pour comprendre l’effet de la tartrazine sur la peau des souris, il faut tout d’abord comprendre pourquoi nous ne pouvons pas voir à travers notre corps. L’explication est simple. Elle repose sur la manière dont la lumière interagit avec nos tissus. En temps normal, lorsque la lumière se réfléchit sur une surface lisse, elle rebondit dans une direction précise (réflexion spéculaire), créant ainsi des images nettes. Or, dans notre corps, la lumière entre en contact avec plusieurs éléments (graisses, fluides, protéines…), qui ont chacun un indice de réfraction distinct (Ndlr : indice qui mesure comment la lumière se courbe lorsqu’elle passe d’un matériau à l’autre).

Dans notre corps, ces matériaux sont très compactés, ce qui amplifie la dispersion de la lumière. Ce phénomène de dispersion empêche la lumière de traverser nos tissus de manière uniforme, rendant ainsi nos corps opaques. C’est sur ce fonctionnement que les équipes du professeur Zihao Ou se sont basées pour faire leur expérience.

“En s’appuyant sur des connaissances fondamentales issues du domaine de l’optique, les chercheurs ont réalisé que les colorants les plus efficaces pour absorber la lumière peuvent également être très efficaces pour diriger la lumière de manière uniforme à travers une large gamme d’indices de réfraction”, explique un article du site officiel du gouvernement des Etats-Unis. Les chercheurs se sont donc tournés vers la tartrazine, connue auprès des scientifiques sous le nom de FD & Yellow 5, supposant que ses caractéristiques biologiques vont permettre de diriger la lumière de manière uniforme.

Ils ont tout d’abord appliqué des concentrations de tartrazine sur du poulet. En observant de plus près les effets, ils ont constaté que la tranche de poulet devenait de plus en plus transparente à mesure qu’ils y appliquaient des doses de tartrazine. Une fois dissout dans l’eau et absorbé par les tissus, ce colorant alimentaire est capable de se lier aux protéines et aux autres molécules présentes et modifier leur indice de réfraction. Ainsi, la lumière peut se réfléchir sur le bout de poulet et le rendre transparent.

Pour confirmer à nouveau les effets de cette solution, les chercheurs en ont étalé sur le cuir chevelu de souris. Et le résultat est le même : la peau est devenue transparente et les vaisseaux sanguins du cerveau sont désormais visibles. Même résultat au niveau de l’abdomen où l’équipe de l’université de Stanford a pu apercevoir les intestins et les mouvements du cœur du rongeur.

Un phénomène réversible

Un colorant qui peut rendre la peau transparente, a priori c'est contre intuitif, mais ce mécanisme est relié à des principes de physique et d’optique. Ici le colorant, en réduisant la diffusion de certaines ondes de lumière à l'intérieur du tissu, et en permettant à d'autres rayons du spectre lumineux de pénétrer plus profondément, modifie les contrastes de l’image, ce qui donne cette impression de transparence. Celle-ci se limite à la zone imbibée par le produit, c'est-à -dire les quelques millimètres d'épaisseur de la peau seulement. Ce phénomène est réversible quand le colorant se dissipe.

"Il faut quelques minutes pour que la transparence apparaisse. C'est un peu comme une crème ou un masque pour le visage : le temps nécessaire dépend de la vitesse de diffusion des molécules dans la peau", détaille Zihao Ou, coauteur de l'étude et membre du département de science et d'ingénierie des matériaux à l'université de Stanford.

Pour expliquer la réaction entre la peau et la tartrazine, le communiqué présentant les résultats mentionne que "les molécules réduisent le degré de dispersion de la lumière dans le tissu cutané, comme pour dissiper un banc de brouillard".

Applications potentielles

Selon les scientifiques, dont l’étude est publiée dans la revue Science, ce colorant alimentaire n’a aucun effet indésirable sur l’animal. La peau retrouve son opacité dès que le produit est retiré et les restes du colorant alimentaire ont été également éliminés dans les selles, écrivent-ils dans leur publication.

Une telle innovation pourrait être utilisée dans le futur, pour identifier les veines lors de prélèvements sanguins, mais aussi pour localiser des blessures, des troubles digestifs ou des tumeurs, estiment les auteurs. “À l’avenir, cette technologie (...) simplifier l’élimination des tatouages au laser ou aider à la détection et au traitement précoces des cancers », a déclaré Guosong Hong, professeur adjoint de science des matériaux et d’ingénierie à l’université de Stanford et co-auteur de l’étude.

Cette technique, si elle était transposable, ouvrirait, pour l'homme, la perspective de contrôler l'état des veines, de surveiller des troubles digestifs, d’observer ce qui se passe sous certaines lésions de la peau, ou sous des grains de beauté, par exemple, sans faire d’incision.

Les limites et les précautions

Malgré cette découverte, des tests supplémentaires doivent être effectués. Notamment pour contrôler la nocivité à long terme d'un tel processus. D'ailleurs, l'équipe de recherche déconseille fortement d'appliquer du Jaune 5 sur sa peau en raison de l'absence d'évaluation toxicologique chez l'homme.

La tartrazine pourrait-elle avoir le même effet chez l’homme ? C'est une vraie question, car les souris ont une peau 10 fois plus fine que la nôtre ! Chez elles c’est facile de passer cette barrière, mais chez l' humain, il faudrait réussir à administrer le colorant sur toute l'épaisseur de la peau, par des patchs ou des micro-injections, pour voir ce qu'il y a juste derrière, ce qui n'a pas encore été testé.

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