Dakar, métropole cosmopolite, possède un secteur commercial dominé par son caractère informel, source de revenus et levier de construction de l'espace urbain. Toutefois, l'implantation des supermarchés Auchan dans les années 2010 entraîne une recomposition des pratiques commerciales chez les acteurs.
L'Essor des Grandes Surfaces à Dakar
Les grandes surfaces sont de plus en plus visibles à Dakar, bien que moins présentes dans les régions. Actuellement, nous assistons à une floraison de surfaces commerciales à Dakar et même dans certaines capitales régionales. Les théories explicatives de l’évolution des formats de distribution suggèrent que les évolutions, dans l’environnement socioéconomique, induisent régulièrement des changements dans le commerce de détail avec de nouveaux concepts plus ou moins sophistiqués, des gammes de produits plus ou moins étroites et des niveaux de prix plus ou moins élevés.
L’accroissement de la classe moyenne mondialisée, exigeante et mobile crée les conditions pour qu’apparaisse, au Sénégal, et principalement à Dakar, une distribution plus moderne avec des superettes, des supermarchés et, peut-être sous peu, des hypermarchés dans des zones comme Diamniadio. Ce qu’il faut retenir, c’est que la forte présence de formats de distribution modernes appelés grande distribution est la conséquence de la mondialisation et de l’accroissement de la classe moyenne.
Attrait des Clients pour les Grandes Surfaces
Les clients sont attirés par les grandes surfaces pour plusieurs raisons :
- Disponibilité 7j/7
- Convivialité
- Accès à des produits locaux de qualité
- Accès à des produits importés de qualité
- Accès à des produits moins chers
- Proximité
Ils n'hésitent pas à comparer les prix dans les différentes surfaces pour se fidéliser dans celles qui leur offrent un meilleur prix.
Pourquoi cette Ruée des Sociétés Étrangères vers le Sénégal ?
Des entreprises étrangères, dont certaines sont des acteurs importants de la distribution mondiale, à travers des contrats de licence ou de franchise, investissent de plus en plus le marché africain et sénégalais en particulier. C’est la résultante de la saturation de leurs marchés domestiques et de la mondialisation de la distribution afin de bénéficier d’économies d’échelle. L’industrie de la distribution est fortement caractérisée par l’obligation de maîtrise des coûts. Un des leviers pour la maîtrise des coûts, c’est de réaliser des économies d’échelle.
En termes simples, il faut accroître la production encore pour réduire au maximum le coût marginal d’une unité produite. Après, il faut trouver à toute cette production des débouchés. C’est la raison pour laquelle les entreprises de distribution, qui exploitent aujourd’hui des marques de distributeur (Mdd) dans le cadre de contrat de sous-traitance et d’externalisation avec de « petits » producteurs, sont obligées d’étendre leur marché partout où une clientèle rentable se trouve.
Le marché africain offre un terrain paradisiaque vu le niveau de désorganisation de la distribution, l’étroitesse des gammes de produits commercialisés, le manque de professionnalisme des acteurs (boutiquiers et tabliers de marchés), et les exigences de la classe moyenne dont les attentes sont en décalage avec l’offre du petit commerce traditionnel.
Menace pour le Petit Commerce
La présence des chaînes de distribution moderne est une menace au petit commerce sous sa forme actuelle. En effet, sous plusieurs aspects, les chaînes de distribution offrent des possibilités et des avantages par rapport au petit commerce. Premièrement, les clients ont l’impression d’avoir des produits plus sains et mieux conservés dans les magasins de la « grande » distribution. A titre d’exemple, le fait que les réfrigérateurs soient systématiquement éteints le soir dans les boutiques de quartier peut amener les consommateurs à aller s’approvisionner dans des espaces où le risque perçu est moins important.
Deuxièmement, le fait d’afficher les prix constitue un gain de temps important pour cette nouvelle catégorie de clientèle qui ne peut se permettre de perdre du temps à marchander, même s’il faut reconnaître les bienfaits du marchandage notamment en termes de lien social entre vendeurs et acheteurs. Troisièmement, les horaires d’ouverture, pour une chaîne dont les magasins sont ouverts jusqu’à minuit, constituent une aubaine pour les travailleurs. Autant de raisons, non exhaustives, qui font que les nouveaux formats de distribution sont un danger pour les boutiquiers et autres commerçants de gros ou demi-gros établis dans les marchés comme Castor, Thiaroye, Gueule-Tapée des Parcelles Assainies, entre autres.
Stratégies pour les Commerçants Locaux
Les réponses stratégiques des acteurs du petit commerce face aux grands distributeurs sont essentiellement :
- Proposer des produits du terroir valorisés par la clientèle
- Accroître le niveau de services apportés aux clients
- Développer des relations personnalisées avec la clientèle
- Élever le niveau de qualité et de salubrité de leurs points de vente
Dans le contexte sénégalais, ces réponses ne seront pas faciles à objecter aux grands magasins de la distribution formelle. Il faut souligner les efforts consentis par certains boutiquiers de quartier qui ont amélioré l’ambiance dans leur point de vente et renforcé leur offre. C’est un premier pas. Il faudra rassurer la clientèle sur les conditions d’hygiène et de salubrité dans les boutiques, les rassurer sur la justesse des prix, et tirer des avantages de leur proximité géographique avec la clientèle pour apporter une offre adaptée.
L'Expansion des Grandes Enseignes
Plusieurs enseignes françaises participent activement à l'expansion du modèle commercial dans les toutes les grandes villes du Sénégal.
En face, les petits commerces s'inquiètent de l'arrivée de ces temples de la consommation qui rappelle les débuts des grandes enseignes dans les années 60-70. Les consommateurs, eux, plébiscitent cette nouvelle habitude de consommation qui tirent les prix vers le bas.
Carrefour, Auchan, Coopérative U, Géant Casino : ces grandes enseignes françaises ont pris d'assaut le Sénégal ces dernières années et côtoient les anciens historiques du pays, Printania, Filfili, Supermarché, Prix Doux.
En moins de 10 ans, les ouvertures de magasins se sont multipliées :
- Pour Auchan baptisée Senchan au Sénégal, ce sont déjà 38 magasins installés dans la région de Dakar mais aussi proches des villes de Sally, Thiès, Mbour, Saint-Louis. En 2022, Auchan a réalisé 218 millions d'euros de chiffre d'affaires en Afrique (soit 0,7 % des revenus totaux du groupe) ;
- Pour Carrefour, associée à la société Adialéa, on compte cinq magasins Carrefour Market
- Pour Coopérative U, on compte 5 magasins Utile et un U Express
Ces installations sont vues positivement par les autorités du pays : source d'impôts non négligeable, création d'emploi. Selon Auchan, l'enseigne aurait déjà créé 1900 emplois dans le pays.
Les Facteurs de Succès
Les consommateurs sénégalais y voient un intérêt ils y trouvent des prix compétitifs ; les produits respectent la chaine du froid (contrairement à des commerces plus traditionnels) et est un gage de sécurité alimentaire important ; les places de parking alentours apportent une sécurité et un confort devenue indispensable les produits et des services à la hauteur des exigences locales ; l'expérience d'achat meilleure que les magasins traditionnels : propreté, merchandising adapté, choix ; la disponibilité des enseignes 7j/7 Ces arguments sont aujourd'hui essentiel pour les sénégalais et les poussent à fréquenter ces magasins.
Cette nouvelle concurrence aux circuits traditionnels implique toutefois un respect de la chaine de production locale. Dans les magasins, les circuits-courts sont plesbiscité. Le pain, la viande, le poisson, les fruits et des légumes font partie des incontourbalbes des étals. Par exemple, 30% des produits écoulés par Carrefour seraient d’origine locale. Le concept « Made in Sénégal » y a même fait son apparition.
Les Défis à Relever
L'expansion de la grande distribution au Sénégal n'en est qu'à ses débuts. Pour y réussir, les problématiques ressemblent de près à celles de l'Europe.
- Préserver les producteurs locaux est une nécessité : les produits frais sont déjà quasi 100% locaux. Rien n'est importé à ce jour pour la viande, du poulet et du poisson. L'ancrage local est une stratégie de poids et de choix.
- La labellisation et la certification des produits en bio : au Sénégal, les produits souffrent encore d'un manque de transparence. Malgré une demande sur les produits bio, la grande distribution ne parvient pas encore totalement à répondre à cet argument commercial. Il existe bien des fournisseurs, mais ceux-ci manquent encore de professionnalisme.
- Produits importés vs produits locaux : le débat existe. Certains produits importés sont préférés aux produits locaux. Certains consommateurs considèrent que les produits sénégalais sont un peu chers par rapport aux produits importés distribués dans les grandes surfaces. Il y a un équilibre à trouver.
- Développer le commerce en ligne et la vente à domicile : là aussi, le sujet existe. Auchan a été la première enseigne à dégainé et a lancé à un site e-commerce pour les habitants de la capitale avant un déploiement progressif dans tout le pays. Pour les autres enseignes, le sujet existe, mais des questions d'infrastructures, de livraison, de chaine du froid, de moyen de paiement se posent.
Tensions et Protestations
Pourtant, malgré le respect de la vente de produits locaux, les enseignes ont été malmené provoquant de fortes tensions les petits commerces et provoquant quelques manifestations et des sit-in devant le ministère du commerce. L'enseigne Auchan se défend notamment en expliquant que ces magasins sont approvionnés à 60% par des produits locaux, le reste étant importé.
Conclusion
La grande distribution au Sénégal est en pleine évolution. Elle évolue au même pas que le pays se développe économiquement. Les systèmes alimentaires d’Afrique sont l’ultime frontière pour les multinationales et la grande distribution alimentaire.
TAG:
