Autisme et Troubles du Comportement Alimentaire: Définition et Enjeux

En apparence, l’autisme et l’anorexie sont très différents. Les personnes autistes sont, selon les idées reçues, peu liées à leurs émotions, tandis que les personnes anorexiques sont souvent des jeunes femmes hypersensibles, influencées par les idéaux culturels de minceur. Cependant, des recherches émergentes mettent en évidence des liens significatifs entre ces deux conditions.

Similitudes et Différences

Des recherches émergentes montrent que les personnes qui partagent ces deux conditions ont des difficultés à comprendre et interpréter les indices sociaux et ont tendance à se fixer sur les petits détails, ce qui rend difficile d’avoir une vue d’ensemble. De plus, les deux groupes ont besoin de règles strictes, de routines et de rituels. Certaines recherches montrent que les personnes autistes peuvent aussi être maigres parce qu’elles mangent peu en quantité et que c’est devenu une routine. Mais l’autisme n’est pas systématiquement lié à l’anorexie.

Prévalence et Diagnostic

Une étude intitulée « Childhood onset neuropsychiatric disorders in adult eating disorder patients. A pilot study” de Wentz E, parue dans le Journal of child and adolescent psychiatry en décembre 2005 montre que 20 % des personnes ayant un trouble alimentaire sont autistes. N. Zucker et W. Mandy estiment le nombre de personnes anorexiques qui ont également un diagnostic d’autisme entre 5 à 10 % des personnes anorexiques. Mais ils observent aussi que même en l’absence d’un diagnostic commun entre l’autisme et l’anorexie, les personnes anorexiques partagent un certains nombres de traits autistiques comme la difficulté à se faire des amis ou à interpréter les indices sociaux.

En 2014, une étude dans la revue Molecular Autism a montré que bien que seulement 4 % des femmes sur 150 patientes recevant un traitement ambulatoire pour l’anorexie dans une clinique de Londres avaient un TSA probable, une sur quatre avait des scores au-dessus du seuil de diagnostic de l’autisme lors d’un questionnaire de dépistage. Cette recherche suggère que les femmes anorexiques ont de forts traits autistiques même si elles n’ont pas de diagnostic clinique. Toujours en 2015, une étude danoise a montré que les proches familiaux d’une personne anorexique ont un niveau significativement plus élevé de diagnostic d’autisme que dans la population générale.

Le comportement alimentaire des personnes TSA peut parfois s’apparenter à de l’anorexie, ce qui peut expliquer pourquoi il n’est pas toujours simple de poser un diagnostic. La dénutrition ne vient pas de la volonté de maigrir, mais plutôt de la pratique du « picky eating », c’est-à-dire que les personnes concernées ont tendance à être sélectives dans leurs aliments en termes de couleur, température et texture (ce qui est mousseux, gélatineux, visqueux est souvent problématique). Ce sont aussi souvent des personnes qui ont des convictions personnelles sur le plan alimentaire (régime végétarien ou végétalien). Mais, au-delà de ces convictions, en se questionnant par le prisme des particularités sensorielles, on remarque que les protéines animales telles que la viande rouge sont fibreuses et donc difficiles à mâcher.

Cette hyperréactivité des organes du goût et de l’odorat, appelée dysoralité sensorielle, est très souvent couplée avec l’autisme. Les patients autistes souffrent pour la plupart de trouble gastro-intestinaux, souvent présents bien avant l’apparition du trouble alimentaire. Le diététicien va alors prendre en compte la dysoralité et les troubles intestinaux lorsqu’il choisira les repas avec le patient.

L’autre différence majeure avec une anorexie classique, c’est qu’il n’y a pas de véritable dysmorphophobie chez les patients TSA-TCA mais un trouble de dysmorphie corporelle appartenant aux champs des troubles obsessionnels compulsifs. Cela signifie que les personnes accompagnées possèdent une perception fragmentée de leur corps. Ainsi elles prennent en repère des zones corporelles non fiables telles que les muscles, ou des zones adipeuses pour s’identifier. Ces zones pouvant varier dans le temps, leurs repères sont bousculés ce qui peut générer la sensation que leur corps n’est plus le leur. Face à des IMC bas, la reprise de poids est nécessaire pour garantir une sécurité de santé, mais doit se coupler à un accompagnement sur l’appropriation des repères corporels.

Défis Thérapeutiques

Si le premier pas est de reconnaitre qu’une personne est à la fois concernée par l’autisme et les troubles alimentaires, il n’est pas pour autant simple de l’accompagner par la suite car il y a peu de professionnels, notamment de psychologues, formés à cela. Originellement les thérapies pour les personnes anorexiques sont des thérapies de groupe et cela peut ne pas être adapté aux personnes autistes qui ne sont pas forcément à leur aise dans les situations d’interaction. La plupart de ces thérapies demandent aussi aux personnes de changer leurs habitudes alimentaires dans un temps très court, ce qui représente une double difficulté pour les personnes autistes.

Comme il existe peu de connaissances sur les personnes autistes et anorexiques, il est difficile de trouver des professionnels qui prennent en compte ces deux fonctionnements et amènent la personne à sortir du cercle de la privation de nourriture. Les personnes concernées par l’autisme et l’anorexie rencontrent beaucoup de psychologues et de psychiatres, sans que ceux-ci soient en capacité de mettre en place un accompagnement adapté. Le fait de ne pas prendre en compte les traits autistiques de ces patients peut mener à des mauvais traitements. Un jeune patient concerné par l’autisme et l’anorexie explique que lorsqu’il a été hospitalisé, le personnel lui a confisqué tous les objets qui lui permettaient une stimulation sensorielle et a fermé à clé la porte de la salle de bain alors que c’était l’endroit où il pouvait se réfugier pour se rassurer.

Prise en Charge Adaptée

Pour que la prise en charge soit efficace, il est primordial de tenir compte de leur hyperesthésie alimentaire, avant de mettre en place la stratégie de renutrition. L’approche thérapeutique du service a été repensée spécialement pour ces patients que ce soit au niveau de leur régime alimentaire ou des conditions de la prise alimentaire. La première étape consiste en la proposition d’une diète sensorielle avant les repas. Les visites sont réduites, la lumière plus tamisée, le son amoindri. Le service veille à éviter la sur-stimulation. Il peut préconiser aussi la mise à disposition d’un outil, Z Vibe, qui permet de désensibiliser la sphère buccale.

Les menus sont adaptés aux spécificités sensorielles des patients. On reste donc sur des couleurs, textures et goûts que la personne maîtrise. Des assiettes compartimentées seront prochainement proposées pour ne pas mélanger les aliments (viande/légumes/féculents). Mais le service apporte aussi un soin particulier au déroulement du repas. Ces ateliers permettent donc de déconstruire le repas pour mieux discriminer les aliments, les goûts et les textures. Les personnes concernées apprennent à goûter chaque composant avant qu’ils soient mélangés pour qu’ils puissent réassocier tous les aliments une fois que tout est assemblé.

Ces ateliers sont aussi destinés à aider les patients du service à cuisiner au quotidien. Cette activité leur est souvent difficile car cela engage trop de capacités en même temps : posture, odeurs, goûts, concentration, faire plusieurs choses en même temps. Pour les personnes pour qui cela reste insurmontable, le recours aux plats cuisinés des grandes surfaces s’avère une solution idéale. Le fait que les plats perdurent invariablement dans le temps les rassure beaucoup. Finalement, la diversification alimentaire importe peu pour ces patients. « L’une de nos patientes s’est autonomisée sur ses repas grâce à Picard.

Importance de la prise en charge sensorielle

  • Créer un environnement facilitant pour la personne (fond sonore ou silence absolu, épurer l’environnement visuel, ajout de balle de tennis sur les pieds des chaises pour diminuer les bruits lorsqu’elles sont déplacées, tables ergonomiques…).
  • Un travail d’adaptation du matériel est parfois nécessaire (assiette d’une certaine couleur ou forme, couverts plus lourds ou d’une forme adaptée…).
  • Veiller à la généralisation des pratiques sur tous les lieux d’accueil de la personne.
  • Ritualiser au maximum pour limiter les changements (temps de repas, type de couverts, placement à la table…). Le seul changement doit être l’aliment nouveau.
  • Séparer les aliments dans l’assiette et éviter les plats en sauce.
  • Toujours encourager et féliciter la personne, la motiver par l’utilisation de renforçateurs*.
  • En cas de « comportement défis », il vaut mieux proposer à la personne de quitter la table pour qu’elle puisse s’apaiser plutôt que d’insister et de la contraindre. Attention à ne pas mettre trop de pression. Les repas doivent rester un moment agréable.
  • Le repas doit être associé autant que possible à un moment positif, à une expérience agréable.

Comportements défis

Dans cet article, nous emploierons le terme « comportements défis » plutôt que les autres termes évoqués. C’est un choix méthodologique qui permet de mettre l’accent sur le fait que c’est le comportement qui met au défi les personnes plutôt que de considérer la personne comme étant un problème. Mais que comprend précisément cette catégorie de comportements ? Pourquoi se manifestent-ils ?

  1. Cette approche permet de replacer les comportements dans un contexte pour lequel ils ne sont pas appropriés. Il y a bien sûr des composantes endogènes à ce comportement désigné comme posant problème, comme la notion d’intensité, de durée, de fréquence.
  2. les stéréotypies/autostimulations : balancements, mouvements des mains, bruits répétitifs. Ceux-ci ne sont jugés être des comportements défis que lorsqu’ils nuisent à la qualité de vie de la personne.
  3. Le pica est un trouble du comportement alimentaire caractérisé par l’ingestion durable (plus d’un mois) de substances non nutritives et non comestibles : terre, craie, sable, papier, plastique, céruse, haie végétale, couches, cendre de cigarette, etc. Ce comportement peut relever de la médecine et de la psychiatrie, ou de la psychologie sociale et de l’anthropologie culturelle. Il fait encore l’objet d’études socioculturelles et médicales visant à mieux comprendre l’étiologie (causes) de la condition.

Concernant l’autisme plus particulièrement, l’étude de Carr et al. Le premier explique les comportements-défis comme ayant une origine génétique et biochimique (Emerson 2001). Ce modèle biomédical est particulièrement utile pour comprendre certaines automutilations. Certains syndromes génétiques montrent une association systématique avec des formes précises d’automutilation, comme par exemple le fait de se mordre les lèvres pour les personnes avec syndrome de Lesh Nyan ou la recherche constante de nourriture pour les personnes ayant un syndrome de Prader Willi. Certaines formes d’automutilation sont liées à la sécrétion d’endorphines produisant un effet analgésique et euphorique.

Le deuxième modèle est éco-comportemental et explique les comportements-défis par la relation entre le comportement et son environnement, ou plus exactement son contexte.

  1. Une des premières étapes est de définir le comportement. Cela peut sembler simple, mais les comportements sont souvent définit par leur catégorie générale (automutilation ou agression par exemple) ou par des jugements de valeur « il est capricieux », « elle est méchante », or dans un cas comme dans l’autre ca n’est pas une définition opérationnelle qui est donnée.
  2. La fonction du comportement est la raison pour laquelle il se reproduit, elle correspond à l’utilité du comportement défi pour la personne.
  3. Le renforcement positif automatique provenant de stimuli perceptifs du comportement lui-même ou de ses effets psychologiques.

Qualité de vie

La qualité de vie et les comportements défis entretiennent des relations étroites. La qualité de vie est un des facteurs contextuels qui doit être investigué en cas de troubles du comportement. Mansell, Mc Gill et Emerson (2001) ont montré que le développement de services résidentiels basés sur la communauté et la non-condensation des personnes ayant des comportements défis augmentent la qualité de vie des personnes. Mais la qualité de vie est également un droit. Il ne s’agit pas de s’en préoccuper uniquement lorsque la personne « pose problème » dans le cadre d’une intervention.

Analyse fonctionnelle

Comme nous l’avons vu précédemment, l’analyse fonctionnelle comprend 4 temps : les évènements contextuels, les antécédents, le comportement et les conséquences.

  1. Les interventions sur les évènements contextuels interviennent généralement avant l’apparition du comportement défi et agissent en prévention de celui-ci. Voici quelques exemples d’évènements contextuels selon une typologie définie par Freeman et al.
  2. Augmenter l’aide pour faire apparaitre des comportements positifs. Cette stratégie est souvent utilisée dans le cas de nouveaux apprentissages.
  3. Augmenter pour une durée temporaire la puissance des renforçateurs.
  4. Promouvoir des interactions positives. Les évènements contextuels peuvent être utilisés pour définir les environnements qui augmentent la motivation des personnes et favorisent des interactions sociales positives.
  5. Augmenter la cohérence de l’environnement humain.

Structuration de l'environnement

  1. Une des premières stratégies d’intervention à mettre en place concernant les antécédents immédiats est la structuration de l’environnement de la personne. Pour cela il faut tenir compte du moment de la journée, de l’environnement physique, de la présence de certaines personnes, des caractéristiques spécifiques des activités (O’Neil et al.

Une des méthodes les plus utilisées pour structurer l’environnement est la méthode TEACCH (Treatment and Education of Autistic and Communication related handicap Children) qui permet une structuration visuelle pour promouvoir les comportements appropriés. La structuration porte sur le temps, les espaces d’activités, les modes de communication, le matériel utilisé pour les apprentissages et les séquences proposées aux personnes.

  1. Eliminer ou minimiser les antécédents immédiats : si le comportement défi suit immédiatement une consigne verbale il faudra s’assurer du niveau de compréhension de la personne et adapter la consigne : simplification, consignes visuelles….
  2. Modifier le contenu des antécédents immédiats : en aménageant les antécédents liés aux activités afin de mieux les faire correspondre aux intérêts de la personne (Clarke et al. cités par Freeman, 2000).

Remplacer le comportement défi

Il s’agit donc de remplacer le comportement défi par un comportement ayant une équivalence fonctionnelle.

  1. Développer les compétences de communication et de relations sociales. Il s’agit d’apprendre à la personne qu’elle peut obtenir ce qu’elle souhaite à l’aide d’un mot, d’une image, d’un signe ou tout autre moyen de communication approprié plutôt qu’en utilisant un comportement défi.
  2. Compter sur l’efficacité de la réponse : les comportements défis sont souvent très efficaces puisqu’ils ont un impact fort sur l’environnement et les conséquences sont fréquentes et immédiates. Si une personne casse des objets jusqu’à obtenir ce qu’elle souhaite, il est probable qu’on se précipite pour le lui donner.

Pour remplacer un comportement défi par un comportement approprié, il faut que le comportement approprié ait la même valeur d’efficience. S’il est plus efficace d’obtenir de l’eau en jetant son verre par terre, qu’en montrant une image de verre, alors la personne choisira en toute logique la manière la plus efficace.

  1. L’extinction : il s’agit de ne pas accéder aux conséquences renforçantes, c’est-à-dire à ce que la personne souhaite obtenir en échange de son comportement (Emerson 2001, Miltenverger, 2004).
  2. le renforcement non contingent : il s’agit de donner à la personne un accès illimité ou temporellement définit aux conséquences ou renforçateur qu’elle obtient par son comportement défi. Par exemple si une personne hurle/crie/pleure jusqu’à obtenir un jouet particulier, pourquoi ne pas lui permettre d’obtenir ce jouet à tout moment ?

Impact du diagnostic d'autisme

Le diagnostic d’autisme a un impact sur les comportements défis car il a des conséquences profondes sur le fonctionnement quotidien des personnes. Les déficits en matière de théorie de l’esprit (Baron-Cohen 1998) rendent compliqué l’interprétation pour les personnes autistes des conséquences de leur propre comportements-défis. L’analyse « je donne un coup de pied pour avoir quelque chose et ca peut blesser la personne et la rendre triste » est souvent trop complexe pour une personne autiste, surtout lorsqu’elle est enfant car elle n’a pas encore appris cela. Cette difficulté empêche l’autorégulation du comportement lié aux codes sociaux habituels.

La problématique de la cohérence centrale (Happé et al. 2001) consiste pour une personne autiste à se focaliser sur les détails plutôt que sur le contexte général d’une situation. L’organisation du temps est souvent un facteur majeur d’anxiété pour les personnes autistes. C’est une des raisons qui explique l’attachement aux routines et la résistance aux changements.

Les comportements défis chez les personnes autistes doivent toujours être contextualisés et interprétés au regard des spécificités de fonctionnement de l’autisme. Si ca n’est pas le cas, il y a un risque important d’ethnocentrisme, c’est à dire l’interprétation de ces comportements par le prisme du fonctionnement des personnes non autistes. Cela ne peut qu’aboutir à l’incompréhension de ceux-ci et aux jugements de valeur négatifs.

Conclusion

Face à la complexité de l'interaction entre l'autisme et les troubles du comportement alimentaire, il est crucial de développer des approches thérapeutiques personnalisées et adaptées. La sensibilisation et la formation des professionnels de la santé sont essentielles pour améliorer le diagnostic et la prise en charge de ces patients, leur offrant ainsi une meilleure qualité de vie.

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