La période de la Seconde Guerre mondiale a profondément marqué la vie quotidienne des Français, notamment en ce qui concerne l'alimentation. La défaite, l'occupation allemande et la mise en place d'un État français sous contrôle ont bouleversé les conditions économiques et sociales, entraînant des pénuries et des restrictions alimentaires sans précédent.
La Mise en Place du Rationnement
Afin de répondre à la montée des difficultés, les autorités mettent en place un système à la fois strict et complexe : le rationnement. Le rationnement correspond à une série de mesures prises par les autorités en vue d’assurer une plus juste répartition entre les consommateurs et les utilisateurs de biens dont on ne dispose plus qu’en quantité limitée. Depuis la fin des années trente, face à la menace d’un nouveau conflit, l’État s’est attribué un rôle majeur dans l’économie.
Le gouvernement Daladier s’est en effet lancé dans une politique dirigiste concrétisée par la loi du 23 octobre 1938 sur « l’organisation de la nation en temps de guerre » qui prévoit la possibilité pour l’État de réglementer par décret l’importation, la taxation, le rationnement et la mise en vente de certaines ressources. En réalité, les ressources alimentaires ne sont pas encore concernées par les mesures prises en 1938. Elles le deviennent en revanche à partir du mois de décembre 1939 lorsque plusieurs réglementations nouvelles sont publiées.
En premier lieu, la consommation de viande devient interdite du lundi au mercredi de chaque semaine. Il en est également de même pour l’alcool les mardis et jeudis. Le décret du 29 février 1940 met en place un rationnement plus strict mais celui-ci ne devient effectif qu’en septembre 1940.
Dès lors, l’achat de denrées est subordonné à la présentation d’une carte d’alimentation délivrée par la mairie sous certaines conditions. Celle-ci est nominative et donne lieu à des dates précises à la délivrance de coupons et de tickets. Tous les mois, un arrêté du secrétaire d’État au ravitaillement fixe, pour chaque denrée rationnée, les quantités allouées aux consommateurs. Ceux-ci sont répartis en plusieurs catégories, selon leur âge et leur profession : E/les enfants jusqu’à 6 ans, J/de 6 à 12 ans, A/de 12 à 70 ans, V/vieillards de plus de 70 ans, T/travailleurs exerçant un métier pénible et C/cultivateurs.
Si la carte de rationnement (carte d’alimentation) apparaît en théorie dès février 1940, c’est Vichy qui la rend effective. Toute l’impopularité de la mesure pèse alors sur les Allemands accusés de vouloir affamer la population.
Les Organismes de Contrôle
Sous la pression de l’occupant allemand qui multiplie les réquisitions, le gouvernement de Vichy est contraint de mettre en place une réglementation ambitieuse mais élaborée sans véritable plan d’ensemble. On crée toute une série d’organismes confiés à des professionnels, organismes qui se superposent, se juxtaposent ou se chevauchent. Désormais, acquisition, répartition, circulation et commercialisation des denrées et autres produits sont contrôlées. C’est le triomphe d’un étatisme tatillon et bureaucratique encore renforcé en octobre 1941.
En matière de rationnement, le dirigisme s’installe en plusieurs étapes. La loi du 17 septembre 1940 fixe pour la première fois le taux des rations de pain, de fromage, de matières grasses et de viande. Le décret du 22 décembre étend le rationnement à d’autres produits : farine, pâtes alimentaires, riz et légumes secs.
Ce système, fondé sur l’échange entre tickets et denrées ou autres produits, impose la mise en œuvre de contrôles sévères. Les exigences allemandes, la difficile remise en route de l’économie, en particulier de l’agriculture, qui souffre du manque de main d’œuvre du fait de l’absence de nombreux prisonniers de guerre, entraînent une grave crise alimentaire lors de l’hiver 1940-1941, sans doute l’une des pires qu’ait eu à supporter la population durant la guerre.
Une population qui accepte mal les nouvelles catégories qui lui sont imposées alors que jusque-là, seuls les critères sociaux lui servaient de repères. Désormais, appartenir à la bourgeoisie ou à la classe ouvrière ne suffit plus, l’étiquette A ou T se révélant plus importante. L’arrêté du 15 juin 1941 introduit une nouvelle subdivision dans la catégorie J, les J3 qui regroupent les adolescents de 12 à 21 ans.
En outre, le lieu de résidence est désormais pris en compte, les urbains et en particulier les habitants des grands centres touchant des rations supérieures à celles des ruraux. Cet arrêté prévoit également des allocations spéciales aux collectivités, hôpitaux, écoles et cantines mais on ne sait pas si elles ont effectivement été distribuées.
Les Pénuries et Leurs Causes
Peu habitués à la pénurie, les Français se trouvent brutalement plongés dans un univers où tout fait défaut. Plusieurs causes expliquent les pénuries : le blocus et la fermeture des circuits habituels qui empêchent en particulier l’arrivée des denrées coloniales (huile, café, cacao) mais aussi une main d’œuvre insuffisante (près de deux millions d’hommes sont prisonniers dans les stalags dont un grand nombre d’ouvriers agricoles), la division de la France en zones, le versement d’une forte indemnité au Reich.
Si l’on ajoute les prélèvements allemands qui frappent toutes sortes de produits dont le blé et la viande ainsi que le manque de semences, on comprend mieux les difficultés auxquelles se heurte la population. La première et certainement la plus forte des conséquences, est que la France est littéralement pillée par l’Allemagne. Bon nombre de ses ressources partent en direction du Reich. Il est aussi à noter que la France est coupée en deux zones et que le passage de la ligne de démarcation des denrées et autres biens est sévèrement réglementé et que les blocus des colonies empêchent l’importation de produits comme l’huile, le café ou le cacao.
De plus, l’Allemagne détient encore près de deux millions de prisonniers de guerre français. Même si le rationnement est généralisé, il ne s’applique pas de la même façon sur l’ensemble des régions qui elles-mêmes, sont différemment touchées par les pénuries. En premier lieu et en général, ce sont surtout les villes qui en pâtissent le plus.
Reste que le mot « restrictions » n’a pas le même sens dans tous les départements. Il existe de grandes différences entre des départements où l’agriculture est variée comme la Seine-et-Marne ou le Loiret, pourtant tous deux occupés par les Allemands et mis à contribution pour nourrir les régions déficitaires, mais qui arrivent malgré tout à s’en tirer, à l’exception des îlots urbains, et ceux qui manquent de tout comme le Var ou les Alpes-Maritimes. Les départements nourriciers de l’Aveyron, du Gers ou du Cantal s’en sortent également bien.
De tous les manques, celui de la viande est le plus criant. Pour un adulte, la quantité allouée est en moyenne de 360 grammes par semaine ; elle ne cesse de diminuer ensuite, abaissée à 250 grammes le 28 mars 1941 jusqu’à atteindre dans certaines régions 120 grammes en 1943 et, 60 grammes en 1944. Ce déficit s’explique par les réquisitions allemandes mais aussi par l’attitude adoptée par les trafiquants et les marchands de bestiaux qui détournent une partie de la marchandise pour la vendre au marché noir.
S’agissant du pain, la ration de base, qui avait été fixée à 350grammes par jour en octobre 1940, est abaissée à 275 grammes en mars 1941. Or le pain est considéré comme un élément essentiel de l’alimentation d’où le mécontentement de l’opinion publique qui s’alarme également de sa qualité toujours plus médiocre. Même doléance de la part d’un habitant du territoire de Belfort : « Le pain est noir et dur, on l’appelle le pain de l’aumône. »
La collecte du lait subit elle aussi le contrecoup de la guerre du fait de la diminution des pâturages et des difficultés de transport. Quant aux pommes de terre, elles sont remplacées en maints endroits par des rutabagas et des topinambours. Pour pallier la difficulté à trouver du café et du cacao, on voit apparaître des ersatz ou produits de remplacement : de l’orge, du malt, des glands, des cossettes de betterave et, dans le meilleur des cas, de la chicorée.
Les matières grasses (beurre et huile) sont difficiles à obtenir, les rations officielles n’étant pas garanties par l’inscription dans une épicerie.
L'Augmentation des Prix
Qui dit rareté des biens et des denrées dit inévitablement hausse des prix. Et ces hausses tarifaires sont marquantes. Pour citer quelques produits courants, le litre du lait était vendu en moyenne 1,89 francs en 1938, il s’achète à 2,70 francs en 1942. Le kilo de beurre lui, passe de 21,50 francs à 46 francs et jusqu’à 350 francs en 1944. Cette même et dernière année, la douzaine d’œufs se négocie autour des 150 francs.
À Paris, d’après la Confédération des producteurs et des consommateurs, les prix ont augmenté continûment de septembre 1939 à février 1942, le litre de lait passant de 1,80 franc à 2,70 francs, le kilo de beurre de 21,50 francs à 46 francs, le kilo de pâtes alimentaires de 8,80 francs à 11,50 francs, le lapin de 16,60 francs à 34,50 francs le kilo, les œufs de 0,85 franc à 1,80 franc pièce. En 1943 et 1944, le marché noir l’emporte : le kilo de beurre se négocie de 100 à 200 francs, puis de 300 à 350 francs en 1944, la douzaine d’œufs à 150 francs.
Impact sur la Santé
De manière générale, le rationnement a un impact majeur sur la santé des Françaises et des Français. Outre la diminution de la résistance physique et morale et de la baisse des capacités de travail de chacun, le rationnement est directement coupable d’une hausse de la mortalité dans l’ensemble du pays. Entre 1938 et 1943, il a été ainsi constaté une hausse des décès de +5,1%. Néanmoins, le département des Bouches-du-Rhône, fortement touché par les pénuries voit son taux de mortalité exploser (+57%), de même que le Var (+37%).
Les premiers à faire les frais de cette sous-alimentation sont les enfants de 7 à 14 ans, les femmes enceintes et les vieillards. On constate ainsi une diminution du poids des nouveaux nés, une augmentation de la mortalité infantile et même des enfants touchés par un arrêt de croissance. Plus inquiétant encore, un amaigrissement généralisé de la population est aperçu.
Les Substituts Alimentaires et les Adaptations Culinaires
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Français ont dû trouver des substituts pour tenir, lorsque certains aliments étaient restreints, voire introuvables. C'est le cas par exemple de la saccharine qui a remplacé le sucre, du saindoux ou de la margarine qui ont pris la place du beurre ou encore des racines et autres céréales (comme des glands, des pois chiches ou de l'orge) qu'on torréfiait à la maison et qui donnaient l'illusion du café.
L'un des exemples les plus marquants de ces substituts qui ont gardé une place dans l'alimentation des Français reste la chicorée. Depuis les années 1950, la chicorée, toujours très populaire dans le nord de la France, est disponible dans les supermarchés. Pourtant, tous les aliments adoptés lors des restrictions n'ont pas connu le même succès après-guerre. C'est le cas par exemple des légumes racines (comme les rutabagas ou les topinambours) qui, selon l'historien de la Seconde Guerre mondiale Fabrice Grenard, étaient «davantage réservés aux animaux avant la guerre».
Les livres de cuisine s’adaptent à ces nouvelles conditions. Les Français apprennent à réaliser des potages avec de l’ortie blanche, du mouron, de la luzerne. De nombreux livres paraissent pour aider les ménagères à cuisiner différemment. On devait faire cuire les légumes le moins possible, une cuisson prolongée détruisant les vitamines. Les journaux et les emballages des produits alimentaires proposent également des recettes adaptées.
Tableau Récapitulatif des Rations Alimentaires
Produit | Ration Moyenne (Adulte) | Observations |
---|---|---|
Viande | 360g/semaine (1940) à 60g/semaine (1944) | Forte diminution due aux réquisitions allemandes et au marché noir. |
Pain | 350g/jour (1940) à 275g/jour (1941) | Qualité médiocre, souvent enrichi de châtaigne, pomme de terre ou sarrasin. |
Matières Grasses | 200g/semaine (août 1940) à 110g/semaine (septembre 1941) | Difficile à obtenir, rations non garanties. |
Lait | Variable selon les régions | Déficit important, distribution problématique. |
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