Henri Matisse, figure de proue du Fauvisme, a marqué l'histoire de l'art par son approche novatrice de la couleur et de la forme.
Genèse et Évolution de l'Œuvre
Tout commence lorsque Matisse passe l’été 1904 avec Paul Signac qui lui enseigne les principes du néo-impressionnisme et de la division de la couleur. De cet enseignement, Matisse tire un engouement pour l’utilisation de la couleur, qu’il transmet à son ami André Derain durant l’été qu’ils partagent, en 1905 à Collioure, dans le Sud de la France. Pour les Fauves, la couleur prime sur le dessin, ainsi que sur la réalité. Cette façon de penser la peinture sera d’ailleurs une constante pour Matisse tout au long de son œuvre.
La Desserte rouge a connu deux états antérieurs : d’abord d’un vert assez froid, puis en bleu (couleur initiale de la toile de jouy utilisée comme modèle). Elle est exposée comme harmonie en bleu au salon d’automne en 1908. S’agit-il d’une concession à l’amateur d’art russe?
Caractéristiques du Fauvisme dans "La Desserte Rouge"
Dans un tableau fauviste, les couleurs sont vives, exacerbées, mais surtout, utilisées pures - c’est-à-dire qu’elles ne sont pas ou peu mélangées entre elles sur la palette. Cette façon de peindre est non conventionnelle pour l’époque. De plus, caractéristique encore plus choquante pour la période, le peintre ne respecte plus la réalité observable mais bien une réalité intérieure, picturale, puisque le choix des couleurs est arbitraire : les arbres peuvent ainsi être rouges, bleus, ou la peau verte… La touche, elle, est très variable selon les artistes ou même les tableaux, à l’image de Derain qui s’essaye aux aplats mais aussi au pointillisme. La majorité des tableaux montrent aussi un travail de simplification des formes.
Couleurs et Contrastes
Matisse utilise des couleurs pures (rouge, jaune) auxquelles il associe les couleurs complémentaires (vert et violet) pour produire un effet de contraste maximum (condensé dans le noir et blanc du tablier de la servante). L’organisation du tableau est pensée en fonction des rapports de proximité, d’étendue et de surface des couleurs (une étendue de rouge appelle une surface verte). Ce parti pris justifie la phrase de Matisse : lorsqu’il met du vert, il ne cherche pas à représenter un paysage, mais il place la quantité de couleur nécessaire pour faire vibrer les couleurs et créer le contraste maximum qui produira un effet sur les sens du spectateur.
Lignes et Formes
La ligne courbe : prolifération des lignes courbes qui évoquent les arabesques de l’art islamique auquel Matisse est très sensible par sa dimension décorative. Des formes sans épaisseur qui se détachent nettement sur le fond, un peu comme des papiers découpés (japonisme). Les formes deviennent signes et se répondent les unes aux autres pour tisser des motifs (la servante et l’arbre, les “fleurs”et les oranges), selon un principe d’analogie.
Affirmation du Plan
Plusieurs éléments contribuent à contredire l’effet de profondeur de la perspective. La répétition du motif : Insistance sur l’effet décoratif.
Contexte et Influence
Le Fauvisme est un mouvement éphémère, qui fut un moment d’expérimentation pour les peintres. Cependant, il eut une influence majeure sur les recherches picturales dans la suite du XXe siècle. Il s’agit d’une commande du collectionneur russe Chtchoukine . “La desserte” sera exposée dans son palais à Moscou, elle deviendra propriété de l’état avec la révolution. Elle est aujourd’hui au Musée de l’Hermitage à Saint-Petersbourg.
Matisse reçoit une commande en 1909 de Sergeï Chtchoukine, mécène russe, propriétaire de la Desserte rouge, qui veut décorer son hôtel particulier à Moscou. Matisse présente une étude préparatoire (Danse I) qui reprend un motif de danse utilisé dans Le Bonheur de vivre (1906). Chtchoukine séduit par cette composition commande à l'artiste un autre panneau sur le thème de la musique.
Comparaison avec "La Desserte Blanche"
Une domestique simplement vêtue d’une coiffe et d’un tablier blanc se penche sur la nappe blanche pour orner la copieuse table d’un bouquet de fleurs blanches. La palette d’Henri Matisse est composée d’un camaïeu de brun classique, assez sobre, et pourtant, du tableau se dégage une grande luminosité. Matisse reprend, dans La Desserte blanche, un thème ancien celui de la scène de genre, en apportant toutefois un cadrage original qui exclut de notre champ de vision une partie de la table et d'une chaise dans le coin supérieur gauche du tableau. La comparaison entre la Desserte blanche et la Desserte rouge témoigne de la révolution artistique que réalise l’artiste en dix ans seulement. Matisse rompt ici avec l’esthétique impressionniste de sa première desserte, esthétisme qui reposait sur la touche de peinture, afin d’insister cette fois-ci sur les aplats de couleurs et les lignes qui font le dynamisme de la scène. Le motif d'arabesque du papier peint est repris non seulement par la nappe, mais aussi dans la coiffure de la domestique et les branches des arbres. Cette première impression de douceur contraste avec la rigidité des chaises et de la fenêtre et apporte à la scène « un équilibre des forces » voulu par Matisse. Dans cette Desserte rouge, l'utilisation de la même couleur rouge délimite l'espace et abolit l’effet de profondeur entre le mur et la table. Matisse initie un style qui lui est propre, style qui rappelle au spectateur qu’une toile est avant tout une surface plane malgré les illusions de la perspective.
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