Le marché des enseignes de bazar et déstockage en France est en pleine expansion et cela ne semble pas près de s’arrêter. L’an dernier, il a ainsi atteint un chiffre d'affaires de 40 milliards d'euros, soit une croissance de 5% par rapport à 2022. Plus besoin de présenter les enseignes de bazar (Action, GiFi, Marché aux Affaires…) et de déstockage (Noz, Stokomani…), qui se sont imposées dans le paysage commercial en France.
L'expansion du parc de magasins et l'évolution du pouvoir d'achat des ménages sont deux facteurs clés de la croissance de ce secteur. C'est pourquoi les principales enseignes à petits prix se livrent à une course à l'ouverture de points de vente. Elles comptent aujourd'hui plus de 2.600 magasins en France, soit deux fois plus qu'il y a dix ans. Et quand de nouveaux acteurs déboulent sur le marché avec plusieurs points de vente d’un coup, cela fait grand bruit.
L'activité des chaînes de bazar et de déstockage devrait augmenter de 6,5% par an en moyenne d’ici 2025, d’après les prévisions de Xerfi. Face à la hausse des prix, les discounters étendent progressivement leur emprise dans l'Hexagone, attirant sans cesse de nouveaux clients à la recherche de bonnes affaires, alors que leur portefeuille est lourdement sollicité. Aujourd'hui, les magasins généralistes à petits prix multiplient leurs ouvertures, surfant sur les envies de plaisirs pas chers, sans avoir le sentiment de trop plomber son porte-monnaie.
Dans une récente enquête intitulée « Le marché des petits prix », Xerfi avance ainsi le chiffre de 4 000 magasins en France pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 10 milliards d'euros en 2022, en croissance de 12 % sur l'année. Et encore : ces 10 milliards n'agrègent que les ventes des 30 principales enseignes du marché qui, certes, génèrent l'immense majorité des transactions, mais laissent toutefois derrière elles une longue traîne loin d'être négligeable.
Dans ces cavernes d'Ali Baba, on ne sait jamais ce que l'on va trouver ! Du shampoing ou du liquide vaisselle, des casseroles ou des petits meubles de déco ! Si ces solderies peuvent proposer toute l'année de trouver des produits alimentaires, du bricolage, la mode, ou des accessoires de décoration pour la maison à des prix cassés, c'est grâce à des lots déstockés ou des faillites de magasins. Achetés pour trois fois rien aux quatre coins du monde, les invendus sont soldés jusqu'à épuisement de stocks. Mode, beauté, déco, gadgets, épicerie ... pour trouver son bonheur, pas de secret, il faut fouiller !
Concurrence et stratégies d'adaptation
Cependant, la concurrence est féroce dans ce secteur. Le succès des plateformes chinoises souvent controversées comme Temu, Shein ou Wish en est une illustration. Si elles parviennent à s’adapter, les chaînes du secteur devraient enregistrer de beaux résultats. Les perspectives du marché restent en effet plus que positives, selon les prévisions livrées par Xerfi dans son étude Bazars, déstockeurs, discounters : étude sur le marché des petits prix (*).
Le marché des produits d'occasion est en plein essor, porté par la recherche de bonnes affaires et une prise de conscience environnementale croissante. Les enseignes de bazar et de déstockage ont déjà l'expérience de la vente de produits à prix bas et d'une gestion efficace des stocks, ce qui leur donne un atout considérable pour se lancer sur ce marché. Plusieurs options s’offrent à ces chaînes pour se lancer dans la vente de produits d’occasion.
Historiquement situées en périphérie des villes, les enseignes de bazar et de déstockage doivent désormais se tourner vers les centre-ville pour capter une nouvelle clientèle urbaine et profiter de zones de chalandise attractives. Les petits nouveaux du marché, comme Hema, Normal ou Miniso misent d’ailleurs d’emblée sur des implantations au cœur des villes, que ce soit dans des centres commerciaux, des gares ou même des locaux au pied des immeubles.
Le e-commerce est devenu un canal de vente incontournable, et les enseignes de bazar et de déstockage ne peuvent plus l'ignorer. Elles doivent développer une stratégie e-commerce efficace pour compléter leur réseau de magasins physiques et toucher une clientèle plus large. La mise en place de cette stratégie doit se faire « dans une logique multicanale plutôt qu’omnicanale - plus facile à rentabiliser, précise Xerfi dans son étude. C’est déjà le cas d’Action qui a lancé un site marchand en Belgique et aux Pays-Bas pour l’instant, complètement déconnecté de son réseau de magasins. Le déploiement d’une activité e-commerce est aussi un prérequis pour capitaliser sur sa notoriété, augmenter son audience en ligne et la monétiser, à l’instar de GiFi qui a ouvert une marketplace.
Pour conserver leur place de choix dans les habitudes de consommation des Français, les enseignes de bazar et de déstockage doivent moderniser leurs points de vente et les rendre plus attractifs, quitte à emprunter les codes des plateformes chinoises qui leur font concurrence. A l’image de ce qui se passe en France, le marché européen des petits prix est en pleine expansion, offrant de nombreuses opportunités aux enseignes françaises qui souhaitent renforcer leur réseau. Les enseignes de bazar et de déstockage doivent donc faire preuve d'innovation et d'adaptation pour relever les défis du marché actuel.
Exemples d'enseignes et stratégies
LSA a publié son traditionnel Top 100 des enseignes en France pour l’année 2023, il y a quelques jours. Les enseignes alimentaires occupent huit des dix premières places, seules Amazon (5e) et Leroy Merlin (9e) parvenant à s’insérer parmi elles. Mais d’autres éléments intéressants se font jour, si l’on se penche sur certains secteurs particuliers. Première observation : hormis GiFi, plombée par de lourds problèmes informatiques, toutes les enseignes s’affichent en très forte croissance.
La seconde observation concerne Action, qui s’affirme comme le leader incontesté du secteur. A quoi reconnaît-on un marché en plein dynamisme ? À l'arrivée de nouveaux acteurs, sans cesse. Prochain en date : l'allemand TEDi, « au printemps », du côté d'Évreux (27). Encore inconnue en France, mais forte de plus de 2 750 magasins dans onze pays et d'un chiffre d'affaires, en 2021, de 1,83 milliard d'euros, l'enseigne s'installe dans l'Hexagone avec des ambitions : « Dix autres magasins TEDi y sont déjà prévus dans les douze prochains mois. Dans tous les cas, voici donc une enseigne de plus sur un marché du bazar discount non alimentaire déjà bien dense.
Ainsi, il n'est pas rare devoir des îlots d'enseignes discount, côte à côte, dans des zones commerciales. L'ennui commence quand le trop-plein se fait sentir. Pour ces marchés du petit prix non alimentaire, la phrase, pour l'heure, se conjugue encore au futur. « La dynamique est favorable à ces enseignes, avec les problématiques actuelles d'inflation et de pouvoir d'achat. Les ménages les fréquentent avec un double objectif : optimiser leur budget mais, aussi, se faire plaisir », indique Delphine David, l'auteure de l'étude de Xerfi. Et comme le contexte est porteur, les acteurs accélèrent.
« En 2020, les enseignes du top 12 du secteur ont ouvert 70 magasins. Un chiffre qui a grimpé à 170 en 2021 et encore une centaine en 2022, mais nous anticipons un ralentissement désormais, avec un rythme de croissance du parc à 3 % par an environ, contre des 7 % à 9 % il y a encore quelques années », détaille Delphine David. Conséquence directe : les chiffres d'affaires devraient, eux aussi, se tasser. Alors, bien sûr, ne créons pas un problème là où il n'y en a pas : ces croissances attendues feraient se pâmer n'importe quel autre groupe, sur d'autres marchés.
Il n'empêche, la fête est bientôt finie… « Les enseignes doivent anticiper l'essoufflement de leur stratégie de croissance extensive et vont devoir se poser la question de leurs rendements commerciaux au mètre carré », soumet Delphine David. C'est avec cette idée entête que doivent être lues les folles croissances de ces dernières années. Action, en dix ans, a ainsi ouvert 726 magasins en France, encore 74 l'an passé et parie sur autant en 2023. Arrivé en 2019, Normal, lui, dépassera les 100 unités cette année, pour ensuite inaugurer une cinquantaine de points de vente chaque année.
« Qui ouvre au bon endroit est gagnant. Les enseignes misent sur de l'achat d'impulsion et doivent donc être au plus près des clients pour obtenir le succès. De plus, leurs zones de chalandise ne sont pas très grandes, ce qui explique aussi la dimension des parcs de magasins. L'exemple de Marché aux Affaires est à ce titre parlant. « Nous avons besoin, pour exprimer notre concept, d'avoir 15 000 à 20 000 personnesà un quart d'heure en voiture. Nous pouvons donc nous installer sans problème dans un village, à condition, quand même, qu'il y ait un supermarché à proximité, afin de profiter de ses flux », argue Bernard Levy, le directeur du développement de l'enseigne qui, à date, compte 326 magasins en France pour un chiffre d'affaires de près de 330 millions d'euros en 2022.
Sébastien Chirouze, directeur des ventes de Normal France, précise, de son côté, que l'enseigne danoise recherche partout des emplacements numéro un, en centres-villes ou dans des zones à forts trafics commerciaux, pour s'implanter. « Nous nous installons en fonction des opportunités, quand l'emplacement nous semble bon et s’accorde aux 350 m2 de surface de vente dont nous avons besoin pour exprimer notre concept », dit-il encore. Avant d’ajouter : « Notre équipe expansion ne lésine pas, c’est un vrai métier pour dénicher ces pépites. Ce dernier point est important.
Si les formats développés par les acteurs du marché sont divers, les coques commerciales laissées vides ne courent pas forcément les rues - même si les petits copains de la mode, malheureusement, en laissent quelques-unes sur le chemin… mais pas forcément de la bonne taille. Or, comme la loi Climat et résilience a désormais pour principe de ne pas délivrer d'autorisation d'exploitation commerciale si le projet engendre une artificialisation des sols, il convient pourtant de travailler avec ce qui est déjà sorti de terre. « Nous devons essentiellement travailler sur des bâtiments déjà existants, à récupérer soit auprès d'autres acteurs du commerce, soit auprès d'autres activités. On commence donc à entrevoir l'embouteillage. A fortiori dans un contexte où la pression concurrentielle est sans cesse accrue avec l'arrivée de nouveaux acteurs.
Défis et perspectives
Dans ce cadre, malheur aux plus fragiles, comme les déboires actuels de KLO, enseigne née sur les décombres de Tati, et qui ferme aujourd'hui de nombreux magasins, le démontrent. « Le marché du bazar n'est pas épargné par la crise, analyse Delphine David, pour Xerfi. Les marges commerciales des enseignes sont sous pression, tiraillées entre la hausse des coûts d'approvisionnement et la promesse de prix bas. » Que craindre et qu'attendre, dans ces conditions ?
« Les rapprochements entre enseignes pourraient se multiplier, à court et moyen terme », indique l'experte, qui appuie encore ses propos : « Le marché n'y échappera pas. Les rachats successifs de Maxi Bazar et Stokomani par le family office de Moez-Alexandre Zouari, il y a un peu plus d'un an, sont d'ailleurs là pour prouver que les grandes manœuvres ont déjà commencé. On pourrait même remonter au mariage entre GiFi et Tati, en 2017. Et ce dernier exemple est diablement intéressant, dans le sens où il montre bien que, souvent, ce sont les plus faibles, et donc rarement les meilleurs, qui sont les proies.
« La rationalisation du marché est à venir et, dans un contexte où le quadrillage du territoire n'est pas loin d'être complet, le risque est de se retrouver avec trop d'enseignes et trop de magasins, comme cela a pu être le cas dans le secteur du textile », soutient Frank Rosenthal, expert du commerce. Arrivé en France fin 2012, Action a, depuis, fait un chemin incroyable. Tout début 2023, l'enseigne comptait 726 magasins en France, après en avoir encore ouvert 74 en 2022. Et les ambitions, pour 2023, sont du même ordre… Autant dire qu'après avoir franchi les 3 milliards de chiffre d'affaires l'année dernière, le groupe néerlandais entend aller plus loin encore.
Avec son modèle tiré des one- dollar stores américain, la chaîne allemande TEDi est attendue en France ce printemps du côté d'Évreux (27). Dix autres ouvertures sont d'ores et déjà prévues sur le territoire hexagonal d'ici à 2024. Le modèle ? Quelque 650 m2 et 15 000 références d'articles ménagers, de décoration, de fête, de bricolage ou encore de la papeterie, des jouets et des cosmétiques, avec, en sus, des centaines de produits promis à 1 € seulement. De quoi attirer du monde ?
Tableau des principales enseignes discount non alimentaires
Enseigne | Type | Chiffre d'affaires (2022) | Nombre de magasins en France (2023) |
---|---|---|---|
Action | Bazar discount | > 3 milliards € | 726 |
GiFi | Bazar | NC | NC |
Noz | Déstockage | NC | NC |
Stokomani | Déstockage | NC | NC |
Marché aux Affaires | Bazar | 330 millions € | 326 |
L'enseigne Supeco, propriété du groupe de grande distribution Carrefour, propose dans ses magasins des produits à plus bas prix que dans les supermarchés traditionnels. Dans des points de vente d'environ 1 000 et 1 300 m², l'enseigne présente 4 000 produits alimentaires, mais aussi non alimentaires, avec par exemple un déstockage d'articles à prix cassés appelé "yapu yapu"."Comme Lidl et Aldi, nous proposons du 'soft discount' : des magasins un peu plus élaborés tout en gardant l'essentiel, des prix bas", avait confié Éric Bouin, Directeur Supeco France, cet été à Business Insider France.
Comment réussit-il à proposer des produits moins chers ? "Notre modèle de distribution basé sur des coûts opérationnels bas nous permet de faire des économies", avait-il expliqué. La présentation sommaire des produits dans des cartons ou sur palettes, l'absence de musique, la situation excentrée des magasins en périphérie, permettent effectivement de réduire les coûts de fonctionnement de Supeco. L'enseigne existe depuis quelques années au sein du groupe français, mais c'est en 2012 qu'elle a été relancée en Espagne par Carrefour, puis en Roumanie et en Pologne.
Devant le succès rencontré - et l'évolution de la consommation vers une part toujours plus importante donnée au discount par les consommateurs - le distributeur a ouvert son premier magasin Supeco en septembre 2019 en France, dans le Nord.Deux ans plus tard, l'enseigne en compte donc désormais 21. Et elle ne compte a priori pas s'arrêter là . Les résultats du dernier baromètre de la valeur Shopper, proposés par Altavia Shoppermind, révèlent que ces enseignes low cost sont bien mieux notées que les magasins alimentaires ou non alimentaires de proximité sur des critères tels que passer un bon moment. La chasse au trésor, inhérente au concept de ces magasins low cost, les séduit.
L’analyse des catégories socio-professionnelles des sondés montre que ces enseignes attirent et satisfont un large éventail de clients. Conséquence : une prémiumisation observée chez certains hard discounters. Une place vacante dans l’univers du very low cost dont sauront profiter de nouveaux arrivants comme le russe Mere, qui débarque bientôt en France ?
La première grande famille d’enseignes low cost provient des Etats-Unis. Dès 1930, sont créés des enseignes comme Dollar Tree, Dollar General, Family dollar…, où l’on trouve essentiellement du non alimentaire (sauf confiserie, snacking), en volume très important. En Allemagne, un nouveau concept de magasins voit le jour dès 1930 avec la création de Lidl, puis Aldi, en 1946. On y trouve des articles alimentaires principalement, à petits prix, parfaitement adaptés au pouvoir d’achat des Allemands, touchés par les crises financières de 1929 et de l’après seconde guerre mondiale et enfin de la réunification.
Aujourd’hui Lidl compte 11500 magasins, Aldi 12 000. Tout comme les enseignes américaines, les magasins brassent des volumes de produits très importants, avec un renouvellement très fréquent des offres. Chaque semaine, 200 à 300 références changent, pour transformer chaque visite en nouvelle chasse au trésor. La tendance ? Action propose des prix bas en massifiant ses achats au niveau groupe. L’influence des Pays-Bas dans le monde du retail prend de l’ampleur depuis plusieurs années, avec notamment le néerlandais Action qui compte près de 550 magasins en France.
Un tiers des articles (jouets, papeterie, bricolage, déco, produits d’entretien…), dont la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, y sont proposés à moins de … 1 euro - mais pour ce prix-là , les clients sont prêts à accepter d’être parfois déçus ! -. La 4e génération d’enseignes low cost accorde quant à elle une grande importance aux story telling, à l’ambiance qui règne dans les magasins, au parcours et à l’expérience clients. Hema, Sostrene Grene, Normal, Flying Tiger, Primark … font partie de ces concepts qui rencontrent un grand succès auprès d’une clientèle très diversifiée, toujours ravie d’y passer un moment et de découvrir des nouveautés à chaque visite.
Ces magasins de déstockage à bas coût, sortes de cavernes d'Ali Baba, fleurissent dans tout le territoire français et ne désemplissent pas. Originalité de l'offre, petits prix... Des discounteurs non alimentaires qui proposent des produits à bas prix qui séduisent de plus en plus de consommateurs. Comment expliquer ce succès ? Ces enseignes proposent-elles des produits de qualité ? À y regarder de plus près, peut-on parler de « bonnes affaires » ? Des prix bas certes, mais à quel prix, notamment sur les conditions de travail dans ces magasins ? Que raconte ce succès sur notre société de consommation ?
Yves Puget, directeur de la rédaction de LSA, le magazine des professionnels de la consommation et fin connaisseur de l'économie de la consommation "ne sait plus ce qu'est un discounter, tout le monde fait du discount, à l'origine Edouard Leclerc faisait du discount". Le discount non-alimentaire comprend aujourd'hui 4 000 magasins et 35 enseignes, avec des différences entre chaque enseigne, GiFI et Action n'auront pas les mêmes choses en rayon.
L'organisme 60 millions de consommateurs s'intéresse beaucoup au sujet, notamment l'incroyable phénomène de la marque Action, qui ouvre un à deux magasins par semaine. Créée aux Pays-Bas en 1993, elle est devenue l'enseigne préférée des Français, tous secteurs confondus, au point qu'il y a la queue devant les magasins le mercredi, jour d'arrivage. Lionel Maugain donne quelques clés : "Action, ils achètent à bas prix, généralement dans le sud-est asiatique, ils travaillent aussi avec beaucoup de grandes marques, c'est aussi ça que les gens apprécient, avec des formats qui sont différents, vous avez des bouteilles de Coca-Cola qui font 2 litres, 3 litres, donc il faut bien regarder le prix au litre parce que c'est pas forcément moins cher chez Action".
Les consommateurs interrogés par le magazine sont "très satisfaits de ce qu'ils achètent, même s'ils ont conscience que ce n'est quand même pas un produit qui va durer.". L'enseigne est peu connue à Paris, une ville plus propice aux superettes qu'aux zones commerciales, mais très populaire en régions. Elle domine le top 5 des enseignes préférées, devant Decathlon, Leroy Merlin, Picard, Ikea. Selon cette même étude réalisée par le cabinet EY Parthenon, "84% des acheteurs d'objets du quotidien vont chez Action", ce taux de pénétration est le plus élevé tous secteurs confondus.
Lionel Maugain explique que cette croissance énorme se fait aussi au détriment d'autres, GiFi par exemple est en difficulté, Noz également. Certains proposaient des rayons de produits à dates de péremption courte. Action fonctionne autrement. Il récupère des stocks d'invendus, voire se penche vers des industriels en difficulté en leur assurant de gros volumes d'achats, mais à prix très bas.
Tout est pensé pour économiser le moindre centime : pas de produits frais car pas de chaîne de froid, pas d'électroménager car pas de service après-vente, pas de musique en magasin pour ne pas payer de SACEM, etc. Il y a chez Action un fractionnement du prix, Benoît Heilbrunn explique la manœuvre : "Quand on achète des babioles à 1, 2 3 euros, on en achète 5 et on n'a pas l'impression d'acheter quelque chose à 15 euros". Ce système est bien connu en bout de caisse chez Ikéa.
Benoît Heilbrunn voit deux éléments à ce taux de pénétration et cet attrait : un facteur culturel et un facteur idéologique. Le facteur culturel vient des pays du Nord d'où proviennent ces marques, des régions de culture protestante où "on va à l'essentiel, sans frivolité, et on achète de l'usage". Pour lui, une vraie question se pose ici autour de la culture de la consommation, car il y avait tout de même deux idées partagées entre soft et hard discount.
Pour ce dernier, on réduit les coûts au maximum, quitte à provoquer des choses comme l'enquête sortie en février 2024 sur Décathlon et ses choix d'entreprises ultra low cost. "Ça, c'est quelque chose qui est invisible. C'est-à -dire qu'on ne veut pas voir que le capitalisme s'est nourri d'un système d'esclaves et qui continue à suivre un système d'esclaves. Et en fait, l'enquête sur les clients de Décathlon montre que les gens le savent parfaitement. Ils n'ont surtout pas envie qu'on leur rappelle. Donc ça, c'est le hard discount."
Le soft discount est celui qui va proposer des produits de marque mais à un coût moindre, grâce à un achat en volumes, ou suite à un déstockage. Pour le professeur, la deuxième dimension est idéologique, avec la question du pouvoir d'achat : "L'hystérisation autour du prix, et donc cette idée que finalement, les distributeurs construisent une rhétorique de la victimisation du consommateur, en disant finalement, les marques t'arnaquent, mais moi j'ai des solutions pour toi, et le problème c'est quand ce discours est récupéré par les politiques et que ça fait le lit des mouvements populistes, ça c'est problématique.".
Action a théorisé son système comme une chasse aux trésors, on y rentre pensant acheter l'essentiel "mais on adore ressortir avec toutes ces petites choses auxquelles on n'avait même pas pensé", rappelle la journaliste Nathalie Gros, et a instauré des endroits pour achats compulsifs. Et ce que montre cette marque et d'autres est que chacun a besoin d'acheter de l'inutile, et besoin de représentation, pas seulement les riches.
Pour Jean-Laurent Cassely, chroniqueur de l'émission, on est entrés dans une culture du discount avec Lidl et Action, "dans la mesure où ce sont les enseignes où va tout le monde, et qui sont devenues désirables". Lidl a ses baskets colorées, Action a ses youtubeuses qui filment leurs retours de course.
La journaliste a réalisé une enquête sur les conditions de travail chez l'enseigne, avec une chasse au temps mort. On entend dans le reportage que des salariés décrivent leur passage chez Action comme leur pire expérience, qu'ils qualifient d'esclavage moderne. Est-ce pareil dans toutes les marques ? La journaliste explique : "on a des indicateurs qui permettent de savoir si c'est pire qu'ailleurs, et la réponse est oui. On peut savoir que quand même ces produits ont un prix, et que les personnes qui travaillent dans les rayons le payent".
Elle poursuit sur l'ultra-polyvalence des salariés, qui, équipés d'une oreillette, passent d'une caisse en urgence au rangement d'un rayon ou toute tâche qui tombe. On rappelle dans cette émission que l'idée n'est pas ici de faire un procès mais d'informer sur les dessous de ces très, voire trop, petits prix. 60 millions de consommateur va prochainement publier une enquête sur les marques discount pour comparer les coûts environnementaux et sociaux de chacun, en publiant par exemple le taux d'accidents du travail ou encore les salaires moyens par enseigne.
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