Autosuffisance Alimentaire: Définition et Enjeux

L’autosuffisance alimentaire est la capacité d’un individu, d’une communauté ou d’un pays à subvenir à ses besoins alimentaires sans dépendre de sources extérieures. Elle offre la possibilité pour une entité de produire suffisamment de ressources alimentaires pour répondre aux besoins de sa population.

Les Concepts Clés

Il est important de distinguer plusieurs concepts liés à l'alimentation :

  • Le système alimentaire: C’est la manière dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps pour obtenir et consommer leur nourriture. Un système sera donc résilient s’il peut absorber les perturbations, apprendre des crises, évoluer structurellement pour assurer à long terme la satisfaction des besoins essentiels de sa population.
  • La sécurité alimentaire: C’est prévoir des situations d’urgence et se prémunir par des mesures appropriées. Le concept de sécurité alimentaire renvoie à un objectif qui est atteint lorsque l’ensemble de la population d’un territoire a accès à la nourriture.
  • La souveraineté alimentaire: La notion de souveraineté alimentaire a été introduite dans la sphère internationale par le mouvement paysan Via Campesina à l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation à Rome en 1996 : La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité culturelle et agricole.

Il ne faut pas confondre la souveraineté avec l’autonomie ou l’autosuffisance. La souveraineté induit une capacité stratégique des acteurs de connaître et gérer leur dépendance en mettant en œuvre des politiques adaptées. L’autonomie désigne la capacité à ne pas dépendre d’autrui, à évoluer indépendamment des autres, ce qui, à l’heure de problématiques communes comme le réchauffement climatique, n’a que très peu de sens.

L’autosuffisance, ou l’autarcie, est une situation dans laquelle se trouve un pays ou un individu dont les ressources propres sont suffisantes pour répondre à ses besoins. La souveraineté alimentaire a une dimension beaucoup plus large que la sécurité alimentaire. Elle débouche sur des pratiques concrètes comme par exemple, choisir la diversification des cultures pour préserver l’environnement tout en augmentant la productivité agricole.

Autosuffisance Alimentaire: Mythe ou Réalité?

Au sens littéral, une « souveraineté alimentaire » en France est quasi-impossible. Ce qui signifierait manger uniquement ce que nous produisons, donc se priver de nombreux produits et en manger d’autres avec excès. Par exemple, selon une récente étude de France Agrimer, notre pays est autosuffisant ou presque sur les céréales, le sucre, le vin et certains produits laitiers. Mais évidemment pas sur les fruits tropicaux, les agrumes, le café, le thé, le cacao, le riz ou certains poissons comme le saumon et le cabillaud.

Il est dit que la plupart des pays du monde n'atteignent absolument pas l'autosuffisance alimentaire. Pire, certaines nations dépendent presque exclusivement d'un seul partenaire commercial pour plus de la moitié de leurs importations, selon une étude des universités d'Édimbourg en Écosse et de Göttingen en Allemagne.

L'équipe de recherche a étudié dans quelle mesure 186 pays étaient en mesure ou non de nourrir leur population uniquement grâce à leur production nationale, en se focalisant sur sept groupes alimentaires nécessaires à un régime sain et durable (régime "Livewell", élaboré par le WWF), riche en légumes et en céréales complètes, modéré en viande et pauvre en matières grasses, en sel et en sucre.

Résultat : plus d'un tiers des pays ne produisent de manière indépendante qu'un ou deux des sept groupes alimentaires essentiels (J. Stehl et al., Nature Food, 2025, avec le soutien du Centre européen d'études avancées).

Quels sont les pays atteignant l'autosuffisance alimentaire ?

Un seul pays atteint l'autosuffisance dans les sept groupes alimentaires : le Guyana, en Amérique du Sud. La Chine et le Vietnam complètent les marches du podium, avec une autosuffisance dans six groupes alimentaires sur sept.

Au contraire, le manque d'autosuffisance pointé par l'étude s'avère particulièrement marqué dans les Caraïbes, en Afrique de l'Ouest et dans les États du Golfe.

Ainsi, six pays, principalement situés au Moyen-Orient, ne couvrent pas les besoins d'un seul groupe alimentaire. "Les chocs climatiques transforment le secteur agricole et continueront de s'intensifier", souligne pourtant Alexander Vonderschmidt, co-auteur, dans un communiqué de l'université d'Édimbourg.

Alors que plusieurs pays européens produisent bien plus que nécessaire dans les secteurs de la viande et des produits laitiers, la production nationale des pays africains, elle, est très faible. Moins de la moitié des pays atteignent l'autosuffisance pour les haricots et les pois, ou les noix et les graines, tandis qu'un quart seulement produisent suffisamment de légumes pour répondre à leurs propres besoins.

Ainsi, plusieurs pays d'Europe et d'Asie centrale dépendent d'un seul partenaire pour les légumineuses, les noix et les graines, et de nombreux pays d'Amérique centrale et des Caraïbes dépendent des États-Unis pour la majeure partie de leurs importations de féculents, par exemple.

Enjeux et Défis

Atteindre l’autosuffisance alimentaire présente des défis, notamment l’adaptabilité des pratiques agricoles et la gestion durable des ressources. L’approche par les droits est essentielle dans la définition de la souveraineté alimentaire.

Pour ne pas apparaître comme un simple retour à l’autosuffisance nationale, la souveraineté alimentaire doit clairement promouvoir une approche régionale fondée sur les complémentarités et la solidarité. C’est en 2020, en pleine crise du Covid, que la souveraineté alimentaire refait surface dans l’hexagone.

Avec la pandémie mondiale de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les concepts de sécurité alimentaire et de souveraineté alimentaire s’affichent partout sur la planète. Les difficultés pour des millions de personnes d’accéder à une alimentation saine au quotidien ne sont pas une nouveauté. Elles ont été décuplées par les effets de la guerre et, avant cela, ceux de la pandémie de COVID-19 ébranlant les piliers d’un système alimentaire mondial déjà précaire.

Il faut faire preuve de vigilance et bien séparer les effets conjoncturels, dramatiques au demeurant, du conflit en Ukraine, et les caractéristiques structurelles de l’insécurité alimentaire. En effet, depuis 2019, 150 millions de personnes en plus sont venues grossir le nombre d’individus affectés par la faim, le portant à près de 830 millions en 2021, avant même la guerre en Ukraine.

En 2021, selon la FAO, sur le continent africain, 1 personne sur 5 était touchée par la faim (278 millions de personnes). L’Asie est aussi un continent où le nombre de personnes en insécurité alimentaire est élevé (425 millions de personnes, 9 % de la population) ainsi que l’Amérique du Sud et les Caraïbes (56 millions, 8.6 %). Enfin, 80 % des personnes souffrant de la faim vivent dans les zones rurales et le phénomène touche principalement les petites exploitations familiales qui fournissent pourtant la plus grande partie de l’alimentation mondiale.

A l’heure de la mondialisation des échanges, l’autonomie ou l’autosuffisance alimentaire paraissent utopiques, à moins d’une révolution copernicienne de nos modes de vie. Un nombre très limité de pays ou de territoires sont capables de produire de tout et tout le temps, tant les systèmes alimentaires se sont, fortement standardisés, déterritorialisés et dé-temporalisés au cours des dernières décennies.

Solutions et Perspectives

Pour atteindre une forme de souveraineté alimentaire, plusieurs démarches sont possibles :

  • La démarche des PAT: Les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont pour objectif de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines.
  • La restauration hors domicile (RHD): 15 millions de Français prennent au moins chaque jour un repas hors domicile, et 50 % des repas hors domicile sont pris en restauration collective. 25 % de la consommation de viande est consommée en RHD.
  • Protéines végétales: 40 % des protéines végétales sont importées.
  • Produits de la mer: les 2/3 des poissons sont importés (déficit de 4,4 milliards d’euros).

Il est essentiel de promouvoir une approche régionale fondée sur les complémentarités et la solidarité. La solution se trouve dans une redéfinition de nos pratiques alimentaires avec une consommation de denrées de saison, locales ET produites avec des méthodes durables et rémunératrices des producteurs.

Confondre la souveraineté alimentaire avec l’autonomie, l’autosuffisance ou le localisme présente le risque d’une instrumentalisation politique des notions liées à l’alimentation. La mobilisation du concept sert parfois de socle idéologique au repli sur soi, sur son assiette ou sur son territoire, à la satisfaction de ses besoins ou de ceux de sa communauté. Ce repli se ferait pourtant au détriment de la coopération et d’une compréhension collective des interdépendances entre les peuples.

Sécurité et souveraineté alimentaire sont deux notions qu’il faut différencier. De manière schématique, la sécurité alimentaire est un état de fait - celui d’avoir assez de nourriture de qualité - et la souveraineté alimentaire interroge les moyens pour y parvenir et plus spécifiquement les politiques mises en œuvre.

Le débat actuel montre une chose : ces deux notions, et la peur de manquer qu’elles sous-tendent, sont globales et ne sont plus, dans les représentations populaires, l’apanage des pays dits en développement. Après la pandémie et la guerre en Ukraine, ce sont maintenant les canicules et la sècheresse qui poussent les médias généralistes et les réseaux sociaux à s’interroger sur notre capacité à nous nourrir. Va-t-on cet hiver, en France et en Europe manquer de lait, de légumes ou de fruits ? Et au niveau mondial ?

Ne nous y trompons pas, la souveraineté alimentaire n’exclut pas le commerce ni les échanges. Ils peuvent constituer un outil pour atteindre la sécurité alimentaire. La souveraineté alimentaire serait d’ailleurs, pour ses défenseurs, largement compatible avec la mondialisation, à condition que celle-ci soit guidée avant tout par le bien être des peuples (producteurs et consommateurs) et la protection des ressources naturelles.

En outre, la consommation locale, face aux chaînes alimentaires mondialisées, est souvent présentée comme un moyen d’atteindre la souveraineté alimentaire et de limiter l’emprunte carbone individuelle. Là aussi, il ne faut pas tout confondre. Encourager la consommation locale est tout à fait vertueux et permet de soutenir les producteurs, le développement et la résilience des territoires et une répartition plus juste de la valeur ajoutée par la limitation des intermédiaires. Manger local n’est cependant que marginalement lié à la durabilité écologique de l’alimentation.

En France le transport des denrées compte pour 13,5 % des émissions de gaz à effet de serre de notre alimentation. S’il est important, c’est plutôt le mode de production qui pèse le plus lourd dans le bilan carbone de nos assiettes.

L’autosuffisance alimentaire n’est pas seulement un objectif souhaitable mais une nécessité pour bâtir des sociétés résilientes et durables.

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